samedi 11 septembre 2010

La porte


Elle :
Voilà la porte est maintenant fermée.


Pour toujours elle va ressentir le manque de lui.


Mais pourquoi donc faut-il jeter des poignées de terre sur les tombes ?
Parce qu’elle ne souhaitait rien lancer du tout, pas même des fleurs, qu’elle ne voulait pas voir tourbillonner dans sa tête les images et les sons qui sont reliés à ce rite funéraire, elle a fait construire un caveau.
Comme une maison. Avec une porte en fer. Une porte qui, avec le temps, pourra s’enorgueillir de patine. Un peu de rouille ici, un peu de vert de gris là. Ils aimaient tant regarder l’usure sur les choses. Ils en étaient fascinés. Trouvant de la beauté, là où la plupart trouvait à redire.
Elle sait que de cet endroit elle peut en faire quelque chose de chaleureux, de sauvage aussi. Elle y mettra des plantes, des fleurs aussi. Elle en fera un endroit qui la ramène à lui.


Elle se doute qu’elle viendra s’y assoir, lire près de lui.



Il est mort.
Trois mots.
Trois syllabes.
Trois mots et un point.
Ça aurait pu être un point d’exclamation, mais elle n’a plus la force de s’exclamer, juste la force d’un tout petit point, un point de fin de phrase. Comme un soupir.
Il est mort.
Quel vide immense !
Quel trou béant tout au centre de son corps, de son cœur.
Il est mort, il est mort, il est mort. Une litanie dans ces mots, elle essaie d’en enlever le sens en les répétant ad nauséam, comme un mantra.
Mais le sens reste, intact.
Il est mort.



Elle n’arrive pas à verrouiller la porte à clé. On lui explique bien tranquillement, comme à une enfant, combien important ce serait, mais elle ne s’y résout pas, elle ne souhaite pas d’entrave entre elle et lui. Et si le « repos éternel » n’existait pas. Si les morts pouvaient choisir de « partir » ou rester parmi les vivants ?
Si ce choix existe, elle sait alors qu’il viendra l’aimer encore et longtemps, qu’il la regardera pendant son sommeil, qu’il lui chuchotera des mots doux dans l’oreille.
Elle se moque d’elle-même. Que la porte soit verrouillée ou pas, il viendra. Mais c’est comme un message qu’elle veut laisser, un code :
« Tu peux sortir, tu n’es pas enfermé là pour l’éternité. Va. Explore comme tu aimais tant le faire vivant. Et raconte-moi tout. Tu racontes si bien. »
Ces pensées l’apaisent bien plus que les sourires contrits et les accolades d’usages.

Il est mort, il est mort, il est mort



Comme ils arriveraient à en rire ensemble. Ils avaient surmontés bien des tempêtes en riant. Leurs mains soudées et leurs rires sonores face à cette vie qui n’offre pas toujours des choix faciles et des qui présente bien plus souvent des chemins sinueux, que droits et clairs.
Il lui manque tellement lors du choix des fleurs, des mots à dire pendant la cérémonie.
Elle a beau être certaine qu’il voudrait qu’on rie, qu’on danse et qu’on cite des vers grivois.
Comment faire tout ça, s’il n’est pas là ??

Plusieurs années on passées.
Au début, cette porte en fer l’a soutenue, quand elle est venue s’y appuyer pour lire, pleurer, crier….
Puis peu à peu… ses visites sont devenues plus festives, moins assidues aussi.
La peine a fait place au plaisir des souvenirs.
Puis.
La vie étant toujours la plus forte, a permis à la guérison de faire son œuvre, remplie de tout l’amour qu’elle avait reçu de lui, elle a continué sa route, plus forte, plus vivante que jamais.
Venant de temps en temps lui partager sa vie, venant s’assoir, planter de nouvelles fleurs, lui présenter son nouvel amour aussi. Elle savait qu’il apprécierait la voir heureuse
Il y a longtemps maintenant qu’elle est morte. Longtemps qu’elle a rejoint le pays d’où on ne sort que par les souvenirs des gens qui nous aiment.
Et c’est moi, sa petite fille qui vient ici de moins en moins souvent, mais qui garde intact tout près de mon cœur le souvenir de la femme amoureuse qu’elle a été de mon grand-père. Qui regarde cette porte patinée de rouille, de vert de gris et qui sourit de la grande force de la vie qui grandit un peu plus chaque jour dans mon ventre…. Je sais qu’elle apprécierait. Beaucoup !
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Lui :
L’entrée d’un caveau… Sorte de guichet d’admission vers l’au-delà.

Quel sujet délicieux pour introduire notre premier texte…
Dans le bonheur d’arpenter les anciens cimetières et leurs merveilles, leurs détails, l’amour et la peine dans un même élan, parsemés ça et là.


Se laisser transporter par la plénitude des lieux, apporter un peu de chaleur à ces êtres déchus qui n’ont peut-être pas su en profiter.
Difficile de ne pas être touché, de ne pas être inspiré par l’amour de la vie et des gens chéris, dans un dernier adieu parfois poignant. Toutes ces fleurs, ces épitaphes…
Pourtant, on ne devrait jamais avoir à se rappeler qu’après le deuil, il reste tous ces gens qui nous entourent dans le quotidien… Sorte d’épreuve qui doit nous remettre les pieds sur une terre bien grasse de tout ce qui était vivant, prenant cycle dans un mouvement perpétuel.
Le mouvement…
Imperceptible, implacable.
La vieillesse, l’usure, contre lesquels nous livrons un combat épique, au lieu de constater que c’est là l’ordre des choses.
Abandonner…
Non pas, faire preuve de faiblesse!
S’abandonner au changement, s’offrir…
Prendre part à ce grandiose défilé cosmique, suivre le flot, se réaliser.
Dans certaines cultures, la mort n’est qu’une nouvelle étape, un changement. Après tout, c’est la seule certitude que nous puissions avoir dès notre naissance!
La langue Française nous apprend que ce qui est funèbre, est par défaut ennuyeux, lugubre, sinistre.
À l’opposé d’un nouveau départ, on s’attarde sur la fin du cycle.
Plus jeune, je me rappelle entendre parler de ces histoires de veillées funèbres ou les convives giguaient, le mort dans son cercueil ouvert, debout, parmi ses amis. Pour une dernière virée d’enfer, à partager les rires et la joie. À célébrer la vie, une dernière fois, en sa compagnie.
Non…
Nous aseptisons la mort. Nous la rendons propre, sans saveur. Nous l’occultons.
Nous la fuyons…
Pourquoi résistons-nous aux changements de la sorte?
Alors que le jeune enfant ne veut jamais se coucher, lutte jusqu’au bout de ses forces pour ne pas sombrer dans le sommeil, pourtant si réparateur, prometteur de journées encore plus excitantes.
Il y a tant à découvrir… Dormir semble une punition qui le prive de se gaver de cette nouvelle vie.
Plus tard, en tant qu’adultes accomplis, après une dure journée de travail, nous ne pensons qu’à aller nous coucher, rompu par la fatigue.


Ou est passé cette soif de vivre? De découvrir?
Elle réapparait parfois, lorsque nous sommes confrontés à la mort, si elle ne nous a pas encore fauchés.
L’homme se bat pour enfermer la vie dans un cadre sécuritaire, comme il a tenté d’enfermer la femme au foyer. Mais la vie évolue, et se charge de faire éclater les restrictions. Elle fait voler en éclats les barrières que l’homme tente de lui imposer.
L’évolution, quel mot! Un concept plus effrayant que n’importe quel charnier.
Pour chaque espèces ayant survécues, combien ont péries, oubliées, absorbées par le mouvement du temps, happées dans son courant.
L’évolution… Nietzche a bien dit que ce qui ne te tue pas te rend plus fort, et Darwin parle de la sélection naturelle. Mais qui donc, parmi ces grands savants, parle de plaisir.
Pourquoi l’évolution serait axée sur le triomphe de la vie sur la mort, sur la souffrance et le labeur?


Assez parlé de philosophie, de grands enjeux…
Versons-nous un verre de vin, une bière fraiche, un verre de lait. Un café, une tisane… Quelque chose d’agréable… Allez! Zou, un effort que diable!!!
Pour écrire ce texte, le seul prétexte doit donc être le plaisir.
Celui de partager, de communiquer… La communion des esprits.
Malgré la fatigue des longues journées de travail et la vie familiale à cinq, l’appel de la plume est le plus fort, l’excitation doit l’emporter.
Une porte qui m’attend.
Est-ce un échappatoire?
Une fuite? Le désir de prendre la porte?
Je ne crois pas. La porte d’un caveau ne mène nulle part…
Ou plutôt si. Vers un autre monde.
Un voyage vers l’inconnu avec vous, celui d’une page à remplir et à commenter.
Pousser, ouvrez cette porte qui vous appelle. Ne vous laissez pas impressionner par sa noirceur, qui ne vise qu’à décourager les simples d’esprit. Poussez, fortement… Elle est fermée depuis si longtemps. Ses lourdes charnières sont coincées dans la rouille.
Entrez… Sentez l’odeur de la terre humide qui s’infiltre dans vos narines.
Mais n’allez pas mourir pour autant, restez avec nous pour partager les prochaines photos…

2 commentaires:

La Mère Michèle a dit…

À ces quelques mots, je peux ressentir une totale complicité entre les auteurs de ce blog, telles deux âmes qui se seraient trouvées et se seraient empressées d'unir les pans de leur être qui battaient au vent pour former une seule et unique étoffe, solide et souple à la fois, comme le sont les grands amours qui traversent l'espace temps.

À l'auteur masculin de ce blog, Roger et moi sommes très heureux de ce bonheur.

Je vous laisse le lien de notre blog familial, entretenue par la plume maternelle depuis quelques années déjà. Ces jours-ci je suis moins assidue, mais j'y reviendrai tôt ou tard!

La Mère Michèle a dit…

Le lien est derrière l'identité blogger ;o) (Mère Michèle)