samedi 31 décembre 2011

Phare

Elle :
J’ai tout jeté par la fenêtre du balcon qui entoure notre havre.
Tous ces tissus qui portent son odeur.
Elle est partie.
Avec lui.
Elle prendra le train tout à l’heure.
Elle ne pouvait faire fi de ce qui l’attendait au bout du rail.
Tout ce blanc qui fait comme tache noire sur mon cœur.
Elle voulait toujours faire l’amour dans des draps blancs, soyeux, doux. « Pour aller avec ta peau »me chuchotait-elle.
...
Ils s’exilaient ici presque tous les jours.
Le même rituel.
Toujours.
Elle montait la première.
Se dévêtait, s’enroulait dans les draps et m’attendait.
Moi.
Moi je montais lentement, délicatement, pour essayer de la surprendre doucement. J’adorais poser mes lèvres sur ce tissu qui enveloppait la chair de ses cuisses. Je soufflais la chaleur de mon désir tout le long de son dos, jusqu’à sa bouche, offerte. Jolie et délicieuse.
Nous avions nos délices et nos supplices dans l’amour. Elle savait me faire fondre et me faire plaisir, attisant toujours plus cette montée vers le bonheur derrière lequel se cachait un besoin impératif de la posséder.
Je l’aimais.
Je l’aime encore.
Je répèterai cette phrase encore dans mille ans.
Après que l’on se soit aimé aujourd'hui, elle m’a dit : « Je pars avec lui »…
Doucement, elle m’a embrassée, tendrement elle m’a enlacée. Elle m’a dit « Je t’aime et ce sera toujours là en moi ».
S’est habillée et sans jeter un regard vers moi, est sortie dans le jour qui tombe bien moins vite que mon corps affalé sur notre lit, ivre encore de nous deux.

J’ai jeté par la fenêtre les témoins de nos ébats, de mon désir et de mon amour pour elle. Je descendrai à mon tour. J’écouterai battre mon cœur et je larguerai les amarres et je partirai loin.
______________
Lui :

Le propre du conte de fées est d’exister contre toute attente.
En cela réside toute sa magie.
Plus il est improbable, plus il est extraordinaire.
Ses aspects redoutables et terribles nous effraient.
Son dénouement nous fascine comme une romance destructrice.
Il est la genèse qui suit l’apocalypse, la dualité des hommes qui cherchent un monde meilleur dans la destruction et la domination.
Il représente l’enfant en nous, refusant de voir l’implacable réalité, accrochée à son rêve psychotique.
Il était une fois, un homme d’affaires ambitieux fort occupé.
Chaque jour, il consultait le grand écran qu’il avait fait installer à grands frais dans son bureau de directeur.
À l’aide de son ordinateur, il pouvait voir si la compagnie progressait, si sa vie était satisfaisante.
Il regardait ses comptes bancaires, ses virements, les employés à virer.
Chaque jour, d'aucuns pouvaient affirmer qu’il était fort affairé.
Mais il advint que la voix de sa secrétaire le sortit de sa contemplation. La journée tirait à sa fin et l’homme d’affaires n’avait pas su remplir tous ses objectifs.
Furieux, il renvoya la pauvre secrétaire sur-le-champ.
L’homme d’affaires était dans tous ses états.
L’heure était au bilan.
L’homme d’affaires scruta son ordinateur de fond en comble, ses comptes, questionna ses associés de plus en plus nerveux.
Tout était là.
Même plus.
L’homme d’affaires avait même découvert de nouvelles compagnies venues se greffer à ses activités industrielles, lesquelles avaient été achetées à vil prix, à force d’intimidation et d’injonctions.
Fort satisfait, l’homme d’affaires savait pourtant que quelque chose clochait.
En vieux routier du pouvoir, il savait qu’il ne pourrait avoir l’esprit en paix en sachant qu’il ne savait pas. Ses associés se précipiteraient sur son siège comme des loups affamés sur un moribond sans défense.
Consultant de nouveau le grand écran, il constata à son grand désarroi que la réponse était là, devant lui. L’homme d’affaires avait tout. Le pouvoir, l’argent, la destinée des hommes, le prestige… Mais il n’avait pas le temps.
Comment pouvait-il posséder le temps?
Demandant à son ordinateur comment il pouvait s’arroger le temps, il obtenu qu’il pouvait tenter de l’arrêter.
Qu’à cela ne tienne, il lui fallait ce qu’il n’avait pas.
Il envoya ses hommes de confiance grassement payés à la recherche de cet endroit oublié, avec pour mission de l’acheter à n’importe quel prix.
Les yeux rivés sur le grand écran, il ne cessa d’observer les déplacements de ses hommes jusqu’à ce qu’il obtienne satisfaction. Un endroit reculé, où le temps s’arrêtait.
Il fit préparer son hélicoptère dès que les papiers furent signés et s’envola sans attendre une minute de plus, afin de savourer rapidement le temps arrêté.
Il pourrait y faire installer un grand écran sur place et contrôler son empire.
L’hélicoptère s’enfonçait rapidement dans la nuit, survolant des contrées de l’empire encore inconnues de l’homme d’affaires.

Près d’une falaise, un phare se dressait, fier, éclairé par les premières lueurs de l’aube.
Constatant que ses téléphones cellulaires ne fonctionnaient pas, l’homme d’affaires ordonna à son pilote de l’attendre et mit pied à terre.
Il marcha jusqu’au vieux portail d’acier et ouvrit l’énorme porte pour s’engouffrer dans le phare.
Un étrange capharnaüm y régnait. Cela sentait son enfance. Des fleurs et des herbes séchaient, accrochées un peu partout. Quelque chose mijotait et répandait son fumet.
L’homme gravit les marches, sans vraiment regarder les lits déserts et monta jusqu’à la chambre principale. Un grand lit l’y attendait.
Envahi par une grande fatigue, il s’y étendit, ferma les yeux, et s’assoupit.
Étrangement, il se sentait déjà chez lui.

Elle était allée chercher des baies et relever les pièges et les collets afin de préparer le repas du soir.
Ses enfants étaient partis tôt. L’école était loin, et le chemin ardu.
Elle se demandait parfois pourquoi elle s’entêtait à rester dans ce phare éloigné de tout et de tous.
Ses grands-parents avaient fuit la guerre pour y trouver refuge. La vie y était dure, mais ils avaient trouvé un certain bonheur.
Cependant, elle se trouvait bien seule. Son mari était disparu en mer, nul ne l’avait revu. L’absence de sa chaleur lui faisait parfois douter de sa féminité, de l’importance de vivre. Seuls ses enfants lui faisaient entendre raison et lui rappelaient qu’elle était une mère.
Elle ajusta sa robe et chassa les pensées importunes au loin. La vie était bonne malgré tout.
Le phare l’assurait de ne jamais perdre son chemin, la ramenait vers l’essentiel, ses enfants, sa vie empreinte de simplicités, loin des tracas.
Alors qu’elle s’approchait, elle remarqua l’engin sophistiqué dans la clairière. Énorme vautour d’acier aux formes sombres.
Comme son mari lui manquait lorsque l’incertitude perçait la carapace de son bonheur.
Le cockpit de l’appareil était si sombre qu’elle ne voyait pas si quelqu’un était à l’intérieur. Elle passa rapidement son chemin pour retourner chez elle, derrière les épais murs de fonte du phare.
Elle suspendit les gibiers, mit le potage hors du feu et monta dans sa chambre.
Les escaliers craquaient sous ses pas légers. Le son familier la rassurait.
 Mais lorsqu’elle qu’elle s’approcha du lit, elle se sentit happée par un vertige démesuré. Sa peau aimantée vers celui qui obtenait tout ce qu’il voulait.
Son pouvoir était tel qu’elle ne pouvait qu’obéir à cette volonté dont il n’était pas toujours conscient. Elle le désirait et le craignait.
Elle s’agenouilla, résistant de tout son être, son esprit se déversant sur son cœur comme du métal en fusion. La douleur crispait chaque muscle de son corps jusqu’à ce qu’elle se brise, jusqu’à ce qu’elle atteigne le point de non-retour, là où la souffrance perd son sens. L’instant de grâce qui mène vers l’abandon, le repos du guerrier.
Les murs d’acier vibraient, lui parlaient.
L’homme dans le lit voulait le phare, et elle en faisait partie.
Elle pouvait résister et périr, ou céder et vivre l’insouciance, accepter son rôle de toujours… Être la gardienne du temps.
L’homme d’affaires s’était réveillé. Quelque chose de fantastique se déroulait sous ses yeux, mais aussi en lui. Comme si ses ambitions prenaient forme dans l’air, devenaient tangibles, effrayantes. Il sentait son désir pour cette femme.
Ses démons n’avaient jamais dépassé la cupidité. Il était submergé par l’envie de la posséder, complètement.
Lorsque leurs yeux se rencontrèrent, ils furent tous deux balayés par ce courant, emportés par la puissance de cette magie qu’est parfois l’amour.
Le temps passa, lentement.
L’homme se désintéressa de son empire pour se concentrer sur sa femme.
Mais bientôt, il trouvât que les enfants prenaient trop de place, l’empêchaient de profiter pleinement de sa concupiscence.
Il les envoya parcourir le monde, profiter de sa richesse.
La femme comprit que cela protégerait ses enfants et ne s’objecta pas.
Le phare tomba dans l’oubli. L’homme d’affaires avait acheté les terres environnantes, les chemins disparurent à force de ne plus être empruntés par quiconque. Même le  brouillard caressait la terre, s’affairant à soustraire le phare du regard des hommes.
 Cependant, une âme errante s’égarait parfois aux abords du phare. L’homme d’affaires, intraitable, accueillait la personne, mais décidait de la séquestrer, afin d’assurer la pérennité de son bonheur.
Enfermés dans la plus haute pièce du phare,  la femme pouvait les entendre pleurer leur liberté.
Voyant la peine que cela causait chez la femme, l’homme d’affaires avait installé une serrure sur l’énorme porte. Convaincu qu’elle serait tentée de libérer les captifs.
Le soir venu, elle menait l’homme d’affaires dans le grand lit et lui chantait son amour. Elle le rendait ivre par ses caresses et assouvissait ses désirs jusqu’à ce qu’il soit complètement épuisé.
Sombrant dans un sommeil profond, elle pouvait alors permettre la fuite des otages avec les grands draps du lit, témoins de leurs ébats.
Grisés par les effluves torrides, les gens s’échappaient pour ne jamais revenir, victime du sortilège visant à les protéger… Car depuis ce temps, de par la volonté de la femme, le temps permet d’oublier.
Encore maintenant, elle s’acquitte de son devoir…
C’est la gardienne du phare, celle qui doit rappeler aux hommes de s’arrêter pour aimer.
Les murs du phare continuent encore à vibrer dans le vent, presque inaudibles, semant l’amour là où on s’y attend le moins. Comblant l’espace laissé par les deuils et les cicatrices de la vie.

dimanche 11 septembre 2011

Brumes

Lui :
J’ai la cervelle embrumée.
C’est humide, les sons se propagent sans révéler leurs origines.
C’est déconcertant. Angoissant.
Mon cœur pompe le sang qui peine à s’oxygéner. C’est laborieux.
Pénible.
Ca fait longtemps que cette sensation flotte au dessus de moi.
L’impression de jouer le rôle de Don Quichotte à l’assaut des moulins.
L’impression que ma vie est un champ de moulins.
Je pourrais rester là, à chialer… Les yeux humides.
Me gratter le bobo.
Mais je n’y arrive pas non plus.
C’est pas moi.
Je suis juste là, dans le néant, à contempler le vide.
Submergé par une angoisse trop douce pour être stimulante. Prisonnier de sa zone de confort merdique sans antagonismes assez puissants pour l’en chasser, une fois pour toute.
La fatigue et la lassitude coulent sur moi comme un sirop épais, m’entrainant vers l’inaction.
Je me débats, cherche à fermer les dossiers, à boucler la boucle des responsabilités qui attendent…
Je suis dans ce cauchemar, où les objectifs à atteindre reculent toujours, hors de portée, au moment de les atteindre….  
Je sais pourtant.
Je sais…
Que  l’atermoiement contient la sonorité des larmes et de l’apitoiement.
Qu’il faut bouger et compléter ce qui doit être fait….
Mais pourquoi?
Dans quel but?
J’écoute autours de moi…. Me parviennent ces échos de nouvelles, de politique, de crises économiques, de crimes et de passions écorchées.
Les gens ne sont pas heureux.
J’ai pourtant le bonheur facile…
Je crois.
Enfin.
Est-ce ma volonté d’aller de l’avant qui cherche à m’en convaincre?
Cette volonté qui n’y arrive plus, tirée vers l’arrière par un agenda qui ne fait que se remplir, sans se vider jamais…
A-t-on déjà vu une épitaphe clamant « Mort noyé dans son agenda »?
Je suis capable de faire des longueurs d’agenda, mais je n’arrive plus à prendre mon respire.
Qu’est ce qui peut nous stimuler assez pour casser la prison de torpeur d’une situation comme celle-là?
Nous avons tous besoin de petites victoires.
Pas forcément de campagnes victorieuses!
De simples victoires, qui nous redonnent confiance… Qui nous donnent envie de continuer.
Et l’espoir…
Quelle racoleuse celle-là.
Nos enfants, mon amoureuse, la vie, l’espoir d’un lendemain lumineux où les gens seront moins cons.
Un lendemain qui réclame une dose certaine d’aptitudes à la connerie… Parce qu’il faut y croire.
Nous y voilà donc.
Je suis croyant?
Croyant en un meilleur lendemain…
Je crois qu’au bout du monde, il y a cette lumière qui chante.
Sa mélodie nous ensorcèle. Elle nous berce vers une autre journée.
Elle nous tient la main dans l’espoir qu’on puisse se réveiller, se secouer.
Ouvrir les yeux et continuer à faire de son mieux.
Continuer son chemin vers le bout du monde….
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Elle :
Elle devient de plus en plus confuse. Ne se souvient plus de choses qu’elle chérissait il n’y a pas si longtemps.
Elle se connait bien. Elle sait que les photos qui sont collées sur la porte du frigidaire sont faites de gens qu’elle aime et qui l’aiment. Les noms deviennent pourtant de plus en plus flous. Comme certains mots qui bloquent sur le bout de la langue…
Et elle n’a pas de chat à qui la donner. Sa langue!
Elle s’est levée ce matin en ayant le sentiment bizarre qu’on l’avait oublié. Elle est allée sur la desserte. Elle pose là toutes ses petites notes, pour ne pas oublier les choses importantes. Elle a ouvert la radio, on est bien la date qu’elle croyait et dans l’agenda et dans les papiers colorés, rien. C’est pourtant plus fort qu’elle. Un drôle de sentiment qui l’oppresse. Elle décide alors de faire ce qu’elle se rappelle le mieux.
Elle va à la petite table du salon. Elles sont là toutes éparpillées. Des centaines de photos, des centaines de sourires, de profils. Des grains de peau, des yeux qui brillent. Des émotions. Des couleurs, parfois tendres, parfois plus dures. Les contrastes qu’elle aime tant. Les bleus du ciel avec la couleur des vêtements. Elle s’apaise tranquillement. Reconnais sans être capable de mettre un nom ni même une époque, les gens sur les photos. Elle sait d’instinct que c’est elle qui les a prises. Peut presque sentir le contact de l’appareil dans sa main. Lève les yeux sur les murs… Elle se voit entourée de personnes affectueuses, rieuses, câlines et belles. Elle sourit. Reconnais en eux ses enfants, son amoureux. Se remet à fouiller, elle sait qu’elle a un calepin pas très loin. L’ouvre. Lit.
Pour chaque visage, une note, une description des rapports et la fréquence des visites. Les dates de mortalité aussi. L’homme qui lui tient la main sur cette photo là. C’était son mari, son grand amour. Elle sait qu’il la faisait rire. Elle le voit sur les photos. Elle voit aussi tout ce qui les unissait, dans ces piles et ces piles de souvenirs en images.
Elle passe alors de l’apaisement à la tristesse. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se souvenir de son odeur? Du son de son rire? Quelle tristesse de vieillir sans sa mémoire. De devoir tout classer en pile de photos, de petits papiers roses, bleus, verts et blancs!
Elle est si vieille qu’elle sait en prenant son verre d’eau qui tremble dans sa main, que personne ne l’a oublié, si ce n’est que la mort elle-même en personne l’a fait.
Elle regarde sur la porte du frigo.
Cette photo.
Elle enrage, car elle ne peut dire si ce sont ses enfants, ses petits enfants ou encore une photo d’elle petite, prise par quelqu’un d’autre. Le traitement vieillot de la photo la fait hésiter. Elle chagrine à ne pouvoir se souvenir pourquoi elle y tient autant.
Elle a hâte que sa fille vienne cet après-midi (elle viendra, c’est écrit dans l’agenda sur un papier rose). Elle sait alors qu’elle se fera tout doucement raconter l’histoire fascinante de sa vie bien remplie.

dimanche 30 janvier 2011

Sirènes...

Elle :
Il faut bien manger n’est-ce pas?
Une sirène!
Une sirène?
Il est l’heureux élu, l’artiste choisi pour faire une œuvre d’art face au musée qui va attirer tous les touristes de la péninsule. Il aimerait ce matin, devant sa feuille encore blanche, son café et le soleil qui se lève dans la mer, en être heureux.
Quand il a fait les beaux arts, il avait de grandes prétentions! Il souhaitait ne faire que ce qui le l’allumait, que ce qui ferait briller ses yeux. Oui! Il est snob! Il s’en défend, le revendique même! Trop de monde se bouscule au pas de la porte de l’art populaire. Ses enseignants souriaient en levant les yeux aux ciels! Ils savaient eux, que la vie était faite de trait de génie mais aussi et surtout de travail pour payer le loyer, pour nourrir la famille ou encore pour voyager! Ils essayaient de lui enseigner que l’on peut vivre de son art, on peut être populaire en ne se reniant pas, en gardant sa signature, en s’investissant et en y mettant tout ce qui fait notre talent! Il balayait d’un soupir en pensant que pour lui, ce serait différent! Il avait la fougue de la jeunesse et surtout les illusions de ceux qui apprennent, ceux qui touchent à l’essence qui les forment, il avait la candeur de ceux qui enfin, se sentent à leur place. Il avait 20 ans!
Il en a maintenant 40. Il est assis devant sa feuille blanche, le petit matin arrive à grands coups de roses et d’orangers…  Il reste un peu de gris, celui si caractéristique de la fin de nuit. Ce gris teinté de bleu… Il adore se lever pour créer quand tout le monde dort encore. Il est encore maître des lieux. Aucun sons, cris ou rires des enfants, pas de téléphone qui sonne, de va et vient et de courses folles des matins d’école.
Il crayonne des sirènes, images de son enfance, des fantasmes masculins des années 50, il en fait des bandes dessinées… Il enrage. Il a bien besoin de cet argent que lui apporte ce contrat en or. De la reconnaissance aussi. Il souhaite enseigner les arts au collège et ce projet va lui en ouvrir les portes…  Il en a assez de vivoter au gré des bourses du conseil des arts, de petits contrats ici et là comme illustrateur. Parce que même s’il aime manier des couleurs et des pastels, lui ce qui le branche c’est la sculpture… Mais les vêtements des enfants, les vacances de l’été prochain et la voiture qu’il faut réparer et l’hypothèque et…. La liste n’en finit plus de s’allonger au fur et à mesure que la vie se vit… Et sa vie, pour rien au monde il la changerait. Il adore être l’amoureux de sa belle, ses enfants font sa joie quotidienne… et cette maison si belle, au bord de la mer… Oui il le sait, c’est un fleuve… Mais de là où il la regarde tous les matins, comme il la voit et comme il la sent. C’est la mer.  Mais pas une mer de sirènes. Il n’y pas de sirènes dans le St-Laurent. Des baleines, des oursins, des épaves… Mais pas d’histoires de sirènes… Il n’arrive pas à imaginer que les sirènes de son enfance, les sirènes que les pirates espéraient et redoutaient se trouvaient si près… Non. Les sirènes vivaient là où il fait chaud, pas là où la glace vogue sur la mer…
Il se sermonne un peu! On s’en fou de ces histoires… Les sirènes n’existent pas! Point à la ligne. Dessine une sirène, sculpte une sirène et empoche le chèque. Facile!!!
Il termine ses crayonnages, son café aussi. Le gris est définitivement parti. Bientôt il ne sera plus seul face à cette fenêtre. Il partagera la table avec les boîtes de céréales, les confitures et le rire ou les disputes des enfants. Il boira une autre tasse de café avec sa douce, sa belle… Ils s’essouffleront à vouloir que personne ne soient en retard, il la regardera partir les cheveux en bataille, encore! Il la trouvera si belle. Encore!
Il sourit à cette évocation!
Il soupire et décide de terminer là pour ce matin, il reprendra le travail quand les enfants seront à l’école, plus tard.
L’envie de réveiller doucement sa femme l’assaille. La sentir qui s’éveille tout en s’étirant près de lui, se coller à sa chaleur, à son amour, à son sourire si beau. Il est heureux de partager tous ses premiers sourires et ce depuis si longtemps déjà!
Il entre dans la chambre sur la pointe des pieds, il connait la légèreté de son sommeil à cette heure. Il souhaite se  blottir tout contre sa peau chaude, odorante sans la réveiller. Et soudain une vision! Il la voit la sirène!
Il existe bel et bien une sirène tout près du fleuve! C’est sa douce, sa belle, sa femme qui lui offre cette image saisissante.
Les draps rejetés au pied du lit, nue, sur le ventre. Elle offre à ses yeux amoureux ses fesses avec leurs courbes rebondies, ce creux de reins et cette peau soyeuse… Il ne manque qu’une nageoire à la place de ses jambes et elle existe, là tout juste près de lui. Dieu qu’il aime ce corps. Il va faire de son amoureuse la muse du musée.
Il est content de se blottir tout contre elle, car il sait maintenant qu’il travaillera fort et bien, qu’il sera fier de son œuvre, car il rendra hommage à la femme qu’il aime!
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Lui :

J’ai envie d’une coupe de vin vermeil, un désir de sommeil.
Mais celui-ci me fuit;
Il y a loin de la coupe aux lèvres.
Ce chaud liquide qui réchaufferait mon âme et ferait bouillir mes trippes.
L’ivresse du plaisir rend le désir contagieux.
Elle  repousse l’impossible auxquels nul n’est tenu, mais dont chacun est tributaire, tôt ou tard.
Enfin, me dis-je, qu’une fois l’orgasme consommé, au repos enfin, je goûterai.
Peine perdu, l’âme en peine, éperdue, j’ai goûté au plaisir, sans sombrer dans le repos du guerrier.
Ce samouraï onirique est bien irrité par toute cette activité.
Mes muses sont trop bruyantes!
Elles m’éloignent Morphée, avec qui j’aimerais bien flirter.
Je serais donc forcé de contempler mes fantasmes, de perturber ma douce moitié.
Transformant mon lit en un tourbillon de draps froissés.
Jusqu’aux premiers rayons de lumière, que mes paupières lourdes refuseront.
Ce fruit tant désiré, enfin offert. Il me fallait capituler pour gagner…
Ivre de fatigue, abandonné. Je sombre.
Eh merde!  Encore un retard au bureau…

lundi 24 janvier 2011

Un party, deux visions...

Lui :

La fête laisse parfois un goût amer.
Les souvenirs émergent, lentement, se frayant un chemin dans le brouillard mental ponctué par des élancements douloureux. Chaque battement de cœur pompe du sang qui s’engouffre et irrigue le cerveau comme un énorme troupeau de bison dévale une prairie, saccageant l’herbe, piétinant tout sur son passage, laissant un vague bourdonnement qui l’empêche de voir clair.
La vision trouble, l’air peine à se laisser respirer.
Le temps est lourd.
Comme l’existence.
Elle cherche son cellulaire.
Il sonne dans une poche, mais laquelle?
Elle se bât, eh merde! Elle l’attrape enfin. Elle a manqué l’appel.
Elle rage, voudrait lancer ce gobe-sous sur le mur, mais c’est aussi l’accès à tout son univers. Sa clé existentielle. Comme si, sans téléphone, ses amis disparaitraient à tous jamais.
C’est X… Synonyme de party, de plaisirs, d’interdits.
Les effluves soufrés qui émanent de ce nom sont aussi un gage de trouble. Elle se rappelle tout ce que cela a pu lui coûter. Ses relations, ses jobs, sa vie.
Mais tout cela devient abstrait, futile. Party… PARTYYY!!!!
Pourquoi résister.
À quoi bon assumer quoi que ce soit. Demain, elle fera le ménage et commencera à faire ce qu’il faut. Mais ce soir, ça peut attendre, encore.
L’armoire à glace qui filtre les indésirables la laisse entrer sur le site de cet énorme rave.
Elle est plutôt jolie, même si les filles, à son âge, ne sont pas encore sujettes aux attaques de la vieillesse, totalement indemnes, sans cicatrices  de la vie.
Le personnel de la sécurité est toujours sympathique avec elle.
Ca lui fait changement de ses parents. Ca lui fera des vacances. Elle rigole.
Ca pétille dans sa tête. Des bulles de plaisirs. Elle sait qu’elle est à sa place, enfin.
X  n’est jamais loin. Ses autres amis non plus.
Ils sont un noyau nucléaire sans attaches autres que le plaisir.
Ils donnent plusieurs noms au sens de leur vie;
Débauche, délire, liberté, émancipation, révolte, droit absolu, respect de soi!
Ils y ont droit.
Ils ne savent pas pourquoi, mais c’est comme ça!
Nom de dieu! Pourquoi s’échiner pour rien. Payer des taxes, travailler comme des bêtes pour crever sans avoir vécu?
Et se poser des questions…. Le voile se lève à nouveau. X lui propose une autre pilule. L’odeur du cannabis est intense, insistant.
« Ça passe encore mieux avec une pof là »… X a toujours un merveilleux sourire. Les yeux un peu rougies. Il a tout pour lui celui-là. Il voudrait bien qu’elle couche avec lui, mais il a une nouvelle copine presque tout les soirs.
Elle croit à l’amour final.
Le hit, la totale. Le mec qui saura faire s’arrêter le temps. Celui pour qui elle fera tout ce qu’il faut.
Ses pieds sont tellement lourds.
Elle boit encore un peu plus. C’est dégueulasse, trop sucré… Mais ça déménage, et ça lui donnera un peu d’énergie pour danser. Elle rit. Ses amis l’entrainent plus loin, dans la foule et la musique qui déchire l’air.
Les danseurs sont partout, elle suit le rythme qui fluctue. Les lumières colorées l’emplissent de joie et elle tente des les saisir au passage… Des rayons fabuleux qui la mèneront vers le bonheur. Elle se fatigue bien vite de ce petit jeu.
Difficile d’échanger avec les autres. Le son entre dans sa bouche, empêche sa voix d’en sortir.
Elle voudrait tant de choses, mais le temps file toujours si vite.
Elle voudrait…
Les questions se bousculent, et s’enfuient. Elle est libérée par sa soif de plaisir.
Elle est à sa place, fusionnée, onde d’énergie, de chaleur et d’amour. Elle ne sait plus vraiment d’où elle vient.
Le sol tangue… Elle ne tient plus vraiment et s’accroche, se laisse voguer dans la foule.
Puis il fait noir.
Elle se sent malade.
Ses parents vont encore l’engueuler… Elle les voit déjà, les bras croisés, la jugeant.
Ils ne comprennent rien.
Ils ne peuvent pas comprendre.
Elle se retrouve sur une civière. Son amie lui tient la main et dit…. Elle dit n’importe quoi.
Mais elle est là. Elle suit les ambulanciers en riant. Incohérente, mais tellement rigolote.
Elle l’aime, entre deux instants de présence. Elle angoisse un peu. Son corps est une fermeture éclair qui s’ouvre vers l’infinie…..
Elle n’a plus un sous. Elle a claqué sa paye.
Il faudrait vraiment qu’elle s’invente une nouvelle vie.
Demain… peut-être.






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Elle :

Au centre de la foule.
Au centre du monde.
Les yeux fermés.
Se laisser bercer.
Être seule, mais être touchée partout.
Par tous.
Se laisser aller.
Sentir son cœur battre au rythme du Dj, avoir chaud, rire et pleurer tout à la fois.
Festive dans tous les pores de sa peau, elle délire sa joie de vivre.
Elle délire la joie qu’elle s’applique à mesurer.
Elle est vivante.
VIVANTE.
Il fait froid, c’est l’hiver dans ce qu’il a de plus intense, mais la musique est entraînante, la lumière hallucinante.  Elle est heureuse d’être là.
En sécurité. Dans la foule, mais pour la fête, pas pour la contestation. Dans la foule pour partager un moment de joie, pas pour pleurer les disparus…
Au centre de l’espace, les sons vibrent, résonnent, les gens rient, chantent, sautent et festoient  ensemble. En chœur.
Elle a eu sa mère et son père au téléphone, plus tôt dans la journée.
Vivants eux aussi, tout comme son frère et sa cousine!
Ô joie!
Elle danse la vie qui revient doucement dans le cœur des siens, au loin là bas.
Là où le soleil a la saveur  du jasmin.
Là où la terre sent  les dattes mûres.
Seule au milieu de la foule, bercée par la cadence, éblouie par les lumières intenses.
Elle sent la neige sous ses pieds, sa tuque cache bien ses oreilles et elle a le bout du nez froid.
Et elle sourit, en pleurant un peu…
Elle est heureuse et vivante.
Oui!
VIVANTE!
Et les siens aussi!

lundi 17 janvier 2011

2011

Elle :
Le temps est à la fête.
Aux étreintes et aux explosions de joie!
Ils y sont arrivés.
Main dans la main.
Le cœur battant.
Ils ont franchis l’année.
Ils ont traversé les tempêtes et les coups de grisous.
Ils ont traversé les éclats de rire et les bisous aussi.
Ils en avaient l’intuition, maintenant ils en sont certains.
C’est en équipe, ensemble et dans la même surtout, qu’ils sont plus forts, plus beaux et braves.
C’est la veille de la nouvelle année. Ils sont partis vers ce lieu calme et feutré. Se sont installé. Ils ont bu et mangé et ils se sont embrassés. Ils aiment tant le faire. Du bout des doigts ils se caressent la main. Avec des mots tendres ils ont fait un bilan de l’année qui vient de passer.  Émotifs, fragiles tout en étant solides, ils ont refait le tour des écueils, des tristesses, des promesses non tenues. Mais ils se sont bien plus attardés aux moments doux, tendres, drôles, loufoques, aux instants volés au quotidien, qui amènent vers l’amour encore plus profond qu’ils imaginaient à pareille date l’an dernier. Ils sont heureux. Ils se savent chanceux, même s’ils savent le prix de cette chance et qu’au fond, la chance n’y est pas pour grand-chose. Même les grands amours doivent être moulus au travail et aux choix déchirants. Et grand amour il y a, ils ne se posent plus la question. Et juste pour ça, ils relèvent la tête et font tinter leur verre de rouge. Rouge comme ses joues à elle, rouge comme la passion qui l’habite lui, rouge comme le sang dans leurs veines qui coule plus vite, car leurs cœurs battent la chamade.
Après le bilan, le repas et les étreintes, ils sont allés vers la fête, mais un peu en retrait. Car ils aiment tant se retrouver seuls. En plus, c’est dans « leur » parc qui l’amène. Un peu au hasard, ils se retrouvent devant des feux plus grands que nature, des feux qui sous le coup de minuit, brûlent les misères et enflamment les rêves et les désirs pour la nouvelle année.
Elle est émue, et heureuse. Elle est à la bonne place au bon moment. Pour la première fois depuis ses 39 hivers qu’elle est née, elle a le sentiment d’être ancrée solidement dans sa vie, que des racines ont poussées, non pas dans un lieu, mais sous ses pieds. Elle est là, solide, amoureuse et aimé.
Il est charmé et heureux. Il la regarde verser des larmes de bonheur en regardant les rouges et les dorés qui embrasent le ciel de Montréal. Il est ému d’être à ses côtés, de se sentir solide sa main dans la sienne.
2011 sera une bonne année.
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Lui :
Dans moins d’une  heure, l’année sera terminée. Ils ont marché dans la ville, longtemps. La pluie est froide. On se serait attendu à de la neige mais allez savoir… Le climat est capricieux.
Se tenant la main, ils sont à l’abri de tout. Une bulle de bien-être, du champagne plein la tête, ils flottent sur un nuage.
Ils ont fait de la photo, et se sont retrouvés dans un café bar pour faire le bilan. Le barman les a reconnus. Ils étaient là, l’année d’avant… L’expérience leur a plus, ils en ont fait une tradition.
Ils iront brûler ce qu’ils ont détesté de 2010, et garderont sur leur cœur les nouveaux objectifs pour 2011. Ils ont parfois rigolés en voyant leurs attentes de l’année précédente, mais sont plutôt satisfait du résultat. Ils ont le sentiment du devoir accompli.
Enfin la journée est terminée.
Bien couché dans un lit douillet, un peu éreinté par le boulot, il éteint la lampe de chevet.
L’obscurité envahit la chambre, mais se trouve vite repoussée… Montréal refuse de dormir. Sa lumière est perpétuelle. L’hiver, le ciel est luminescent, se voile de teintes orangés qu’on peut voir des kilomètres à la ronde, même une fois rendue à la campagne.
Montréal est comme un enfant, elle veut tout voir, ne rien manquer.
Un soupir, une compagne qui s’étire, une chatte qui ronronne.
Ils ont formé une famille reconstituée, et sont arrivés avec leurs chats respectifs.
Les enfants dorment à poings fermés. C’est l’heure pour les souris, le moment d’enfin pouvoir danser.
En chemin pour le vieux port, ils croisent des fêtards et des couples. L’atmosphère est palpable, vibrante, presqu’inquiétante. Mais ils savent qu’ils sont en sécurité. On sent que quelque chose d’important se prépare.
Ils se trouvent un coin, un peu en retrait, et attendent que l’année se termine.
La fête bat son plein, de l’autre côté du fleuve.
Ils ont voulu éviter la foule, pour préserver leur intimité et vivre ce moment avec beaucoup d’espace pour goûter goulument chaque parcelle, chaque saveur, sans contraintes. Ils entrent dans le nouvel an par la grande porte.
Une main qui frôle les hanches, une caresse dans le cou. D’autres soupirs.
Le cœur qui palpite… Un chemin connu, mais qu’on redécouvre à chaque fois. Une ascension vers le plaisir sur la route du désir.
Les corps se collent, se fusionnent. Les rythmes cardiaques s’emballent. Les regards s’embrasent.
On entend dans la pièce, les souffles rauques qui s’essoufflent et les chairs qui se lamentent, en équilibre sur cette mince frontière qui sépare la douleur et le plaisir.
Des baisers déposés, d’abord sur la nuque, puis pleuvant un peu partout, mitrailleuse charnelle visant à toucher l’autre dans ses recoins les plus intimes.
Le temps s’estompe, ils sont perdus dans le tumulte et la houle de leur désir qui ne cesse de grandir. Ils sont perdus, l’un dans l’autre, et leur bonheur consume leur âme dans une explosion terrible. Puis leurs cendres retombent… Ils sont brisés. Anéantis.
Une trainée de lumière s’élance dans le ciel, suivit d’une déflagration. Il est minuit!
Des centaines de feux d’artifices volent dans tous les sens.
Parfois, Montréal prend des allures de Bagdad pendant un barrage de feu anti-aérien, mais sans morts ni dégâts, sinon l’extase et le grandiose impressionnant d’un spectacle pyrotechnique sans précédents. Ils sont émus. Ce spectacle est pour eux, pour partir en grande et embarquer dans 2011 vers une nouveau voyage. C’est au-delà de leurs attentes.
Les couleurs, les explosions, ne cessent d’aller en s’accentuant, de plus en plus audacieux, repoussant sans cesses les limites du raisonnable. Quel paroxysme, ils s’étreignent, muets, submergés, soudainement conscient de leur bonheur, de cette chance d’être ensemble et de partager ce moment unique.
Doucement, ils renaissent, comme le phœnix. Puis se demandent en rigolant s’il serait raisonnable de recommencer.
Enlacés tendrement, ils se laissent enfin cueillir par le sommeil… Demain est une autre journée.
Un peu étourdi, ils réalisent que le spectacle est terminé. Ils entendent les cris de joie et les applaudissements dans un étrange brouillard, au travers d’un rêve troublant, mais agréable.
Ils retournent doucement chez eux. Bercés par toutes ces images, ainsi que les promesses de prospérité et de bonheur d’une nouvelle année.
2011 est commencé.