dimanche 11 septembre 2011

Brumes

Lui :
J’ai la cervelle embrumée.
C’est humide, les sons se propagent sans révéler leurs origines.
C’est déconcertant. Angoissant.
Mon cœur pompe le sang qui peine à s’oxygéner. C’est laborieux.
Pénible.
Ca fait longtemps que cette sensation flotte au dessus de moi.
L’impression de jouer le rôle de Don Quichotte à l’assaut des moulins.
L’impression que ma vie est un champ de moulins.
Je pourrais rester là, à chialer… Les yeux humides.
Me gratter le bobo.
Mais je n’y arrive pas non plus.
C’est pas moi.
Je suis juste là, dans le néant, à contempler le vide.
Submergé par une angoisse trop douce pour être stimulante. Prisonnier de sa zone de confort merdique sans antagonismes assez puissants pour l’en chasser, une fois pour toute.
La fatigue et la lassitude coulent sur moi comme un sirop épais, m’entrainant vers l’inaction.
Je me débats, cherche à fermer les dossiers, à boucler la boucle des responsabilités qui attendent…
Je suis dans ce cauchemar, où les objectifs à atteindre reculent toujours, hors de portée, au moment de les atteindre….  
Je sais pourtant.
Je sais…
Que  l’atermoiement contient la sonorité des larmes et de l’apitoiement.
Qu’il faut bouger et compléter ce qui doit être fait….
Mais pourquoi?
Dans quel but?
J’écoute autours de moi…. Me parviennent ces échos de nouvelles, de politique, de crises économiques, de crimes et de passions écorchées.
Les gens ne sont pas heureux.
J’ai pourtant le bonheur facile…
Je crois.
Enfin.
Est-ce ma volonté d’aller de l’avant qui cherche à m’en convaincre?
Cette volonté qui n’y arrive plus, tirée vers l’arrière par un agenda qui ne fait que se remplir, sans se vider jamais…
A-t-on déjà vu une épitaphe clamant « Mort noyé dans son agenda »?
Je suis capable de faire des longueurs d’agenda, mais je n’arrive plus à prendre mon respire.
Qu’est ce qui peut nous stimuler assez pour casser la prison de torpeur d’une situation comme celle-là?
Nous avons tous besoin de petites victoires.
Pas forcément de campagnes victorieuses!
De simples victoires, qui nous redonnent confiance… Qui nous donnent envie de continuer.
Et l’espoir…
Quelle racoleuse celle-là.
Nos enfants, mon amoureuse, la vie, l’espoir d’un lendemain lumineux où les gens seront moins cons.
Un lendemain qui réclame une dose certaine d’aptitudes à la connerie… Parce qu’il faut y croire.
Nous y voilà donc.
Je suis croyant?
Croyant en un meilleur lendemain…
Je crois qu’au bout du monde, il y a cette lumière qui chante.
Sa mélodie nous ensorcèle. Elle nous berce vers une autre journée.
Elle nous tient la main dans l’espoir qu’on puisse se réveiller, se secouer.
Ouvrir les yeux et continuer à faire de son mieux.
Continuer son chemin vers le bout du monde….
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Elle :
Elle devient de plus en plus confuse. Ne se souvient plus de choses qu’elle chérissait il n’y a pas si longtemps.
Elle se connait bien. Elle sait que les photos qui sont collées sur la porte du frigidaire sont faites de gens qu’elle aime et qui l’aiment. Les noms deviennent pourtant de plus en plus flous. Comme certains mots qui bloquent sur le bout de la langue…
Et elle n’a pas de chat à qui la donner. Sa langue!
Elle s’est levée ce matin en ayant le sentiment bizarre qu’on l’avait oublié. Elle est allée sur la desserte. Elle pose là toutes ses petites notes, pour ne pas oublier les choses importantes. Elle a ouvert la radio, on est bien la date qu’elle croyait et dans l’agenda et dans les papiers colorés, rien. C’est pourtant plus fort qu’elle. Un drôle de sentiment qui l’oppresse. Elle décide alors de faire ce qu’elle se rappelle le mieux.
Elle va à la petite table du salon. Elles sont là toutes éparpillées. Des centaines de photos, des centaines de sourires, de profils. Des grains de peau, des yeux qui brillent. Des émotions. Des couleurs, parfois tendres, parfois plus dures. Les contrastes qu’elle aime tant. Les bleus du ciel avec la couleur des vêtements. Elle s’apaise tranquillement. Reconnais sans être capable de mettre un nom ni même une époque, les gens sur les photos. Elle sait d’instinct que c’est elle qui les a prises. Peut presque sentir le contact de l’appareil dans sa main. Lève les yeux sur les murs… Elle se voit entourée de personnes affectueuses, rieuses, câlines et belles. Elle sourit. Reconnais en eux ses enfants, son amoureux. Se remet à fouiller, elle sait qu’elle a un calepin pas très loin. L’ouvre. Lit.
Pour chaque visage, une note, une description des rapports et la fréquence des visites. Les dates de mortalité aussi. L’homme qui lui tient la main sur cette photo là. C’était son mari, son grand amour. Elle sait qu’il la faisait rire. Elle le voit sur les photos. Elle voit aussi tout ce qui les unissait, dans ces piles et ces piles de souvenirs en images.
Elle passe alors de l’apaisement à la tristesse. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se souvenir de son odeur? Du son de son rire? Quelle tristesse de vieillir sans sa mémoire. De devoir tout classer en pile de photos, de petits papiers roses, bleus, verts et blancs!
Elle est si vieille qu’elle sait en prenant son verre d’eau qui tremble dans sa main, que personne ne l’a oublié, si ce n’est que la mort elle-même en personne l’a fait.
Elle regarde sur la porte du frigo.
Cette photo.
Elle enrage, car elle ne peut dire si ce sont ses enfants, ses petits enfants ou encore une photo d’elle petite, prise par quelqu’un d’autre. Le traitement vieillot de la photo la fait hésiter. Elle chagrine à ne pouvoir se souvenir pourquoi elle y tient autant.
Elle a hâte que sa fille vienne cet après-midi (elle viendra, c’est écrit dans l’agenda sur un papier rose). Elle sait alors qu’elle se fera tout doucement raconter l’histoire fascinante de sa vie bien remplie.