lundi 25 octobre 2010

Lanternes

Elle :

À petits pas il part tous les matins dans le pavillon, caché près des bonsaïs. Il a dans son sac de la farine, des pigments de couleurs et ses petits outils. Il travaille depuis 35 ans à façonner des minuscules personnages pour des fresques miniatures, qu’il vendra ensuite aux touristes. Il se rend tous les matins et travaille tard le soir. Il se perd dans tous les gestes qu’il répète inlassablement. Il se perd en répondant aux mêmes questions posées par les touristes qui viennent le visiter. Parfois une enfant, plus bavarde et curieuse s’intéresse vraiment à l’ouvrage. Il n’a pas le temps, ni le courage, ni même le cœur de répondre adéquatement. Ses mains, façonnent et modèlent, sans avoir besoin de lui… Il sourit. Mais il ne pense qu’à elle.

Sa fille. Partie vivre là bas, dans ce pays qu’il avait quitté, un peu pour elle. Pour qu’elle vive une vie remplie d’opportunités. Elle est partie là bas. Retrouver ses origines. Elle mange maintenant du riz le matin, le midi et le soir. Ici elle aurait pu manger aussi un souvlaki. Mais ce n’est pas ce qu’elle a choisis.
L’exil.
Elle a choisis l’exil.
Elle vit dans les odeurs qui l’ont vu grandir lui.
Elle vit dans un régime qu’il a fuit.
Et lui, de ses doigts agiles, mais fragiles, continue de fabriquer pour les touristes ces petits personnages en farine, qu’il vent pour subsister.
Son cœur est rempli d’incompréhensions.
Pourquoi les enfants font-ils si souvent le chemin que l’on fuit ?
Pourquoi sa fille le quitte pour aller dans ce pays qu’il a fuit ?
Son cœur est en exil.

Tous les matins, il va à petits pas dans ce pavillon, caché près des bonsaïs. Il a dans son sac, tout ce dont il a besoin pour fabriquer le rêve des touristes. Et le soir venu, lorsque l’heure sonne pour rentrer enfin à la maison, il fait le chemin inverse. C’est plus joli, rempli de lanternes illuminant le chemin, rempli de musiques qui ont bercé son enfance. Mais lui, lui ne voit rien. Il est rempli de tous les exils de son histoire. Il voit la vie en noir et blanc. Il ne voit que les taches rouges sur son passage.
Coups de sang, coup de gueule.
Il s’ennuie de sa fille.
Les yeux rouges, il marche jusque chez lui, embrasse sa femme, la fait danser dans le salon et mange avec elle un souvlaki.
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Lui :
Elle était étendue, là, dans la cour.
Son âme meurtrie aurait voulue partir avec le vent, comme les feuilles mortes venant se déposer sur son corps immobile, paralysé par la douleur et la peine.
La terre s’ouvrait sous ses pieds pour l’aspirer dans les abysses.
La vie avait été si bonne pour elle.
D’abord, de bonne lignée, elle avait eu droit à une bonne éducation et n’avait jamais manqué de rien. Ses parents s’aimaient, et le climat social était bon. C’était une époque prospère et insouciante. Les histoires de guerres semblaient avoir été écrites pour faire peur aux enfants, et les vestiges militaires semblaient faits pour le faste et l’apparat des grandes cérémonies.
Les enfants courraient dans le village, semoncés par les vieillards feignant un air bourru. Leurs sourires édentés finissaient par les trahir,  ravis par les rires et le soleil généreux pour leurs vieilles carcasses.
Puis l’amour avait pointé son nez.
Un jeune cavalier, frais sorti de l’académie militaire, était revenu de la capitale. Elle ne l’avait pas reconnu. Le village s’était animé, c’était la fête.
Tel un papillon sorti de son cocon, le gamin morveux qui lui tirait les cheveux était devenu un officier de cavalerie. Lui qu’elle avait souvent repoussé, semblait maintenant si noble, inspirant l’admiration.
Le cavalier et son cheval ne faisaient qu’un. Il était souriant, chaleureux, et donnait la main aux enfants qui voulaient tous le toucher, comme s’il était irréel, un conte ancien, une légende.
Wu avait pour mission de lever une petite milice. Son charisme était puissant, et sa force résidait  dans sa douceur. Qui aurait cru qu’un homme si imposant, armé, puisse être aussi bienveillant.
Elle sentie son cœur chavirer instantanément.
Le temps s’était écoulé lentement, dans le bonheur. Les récoltes étaient bonnes, les artisans avaient enfin du temps pour créer la beauté, sans craindre la famine.
Le prestige que Wu ramenait avec lui, et sa nouvelle milice, rejaillissait sur le village et ses habitants. Le gouverneur était satisfait.
Son armure ne l’avait pas  protégé  contre l’attirance et l’admiration qu’elle lui vouait. Wu avait aussi fini par être chaviré par cet amour si puissant.
Les cérémonies furent somptueuses. Le village se transforma en palace. Ses habitants voulant célébrer et partager la grande nouvelle. Des jardins s’érigèrent, et tous voulaient participer à ce rêve prodigieux, trouver une façon d’immortaliser cette joie contagieuse. Les pagodes, les sculptures, respiraient le désir de répandre la beauté.
Quelques artisans avaient même créés des lanternes colorées pour donner vie à la nuit.
Wu avait même fait la surprise, avec ces mêmes artisans, d’organiser une soirée avec des lanternes volantes, qui s’élevaient gracieusement dans le ciel, comme des esprits magiques, jusqu’à ce que leur flamme se perdent dans les étoiles.
Puis l’ombre s’était abattu dans un galop trépidant de monture exténuée. Le messager avait interrompu la fête, il tenait un rouleau de parchemin pour le chef de la milice.
Des hordes d’envahisseurs se préparaient à franchir les frontières du royaume.
Tous les hommes aptes au combat devaient partir sur le champ, grossir les rangs d’une armée hâtivement rassemblée.
Une  manœuvre qui n’augure jamais rien de bon. Ce genre d’armée n’est qu’une chair à pâté pour des vétérans aguerris.
 La mort dans l’âme, mais fidèle à l’empereur, Wu s’était exécuté.
L’attente avait commencé. Les anciens consolidaient les défenses du village. Il restait peu d’homme en état de se battre, et tant à faire.
Son cœur s’était arrêté, arraché par le départ de Wu… En quelques mois, il avait réussit à prendre tant de place en elle, que le vide qu’il laissait lui coupait le souffle.
Les jours défilaient, le froid s’installait.
L’angoisse s’incrustait dans la fibre profonde de chacun. Comment faire pour continuer à vivre dans l’ignorance.
Les femmes tentaient de se réconforter, mais n’arrivaient pas à rendre crédible le masque qui couvrait l’enfer de leur peur, l’anticipation qui gruge l’espoir et tue le rire.
Un matin, un messager est revenu, poussiéreux, abattu.
L’urgence du message l’avait quittée. Il avait l’air accablé.
Les hommes s’étaient battus vaillamment, accomplissant de grands faits d’armes. Ils avaient repoussé l’envahisseur. Mais aucun n’avaient survécus. Ils avaient fait le sacrifice ultime, pour l’amour des citoyens de ce royaume et pour l’empereur.
Le reste du discours s’était fondue dans un brouillard de sons inaudibles.
Depuis, elle passait ses longues soirées dans la cours, à ne voir qu’une exécution macabre des plans de l’empire chaque fois qu’une cérémonie avait lieux.
Les lanternes se vidaient du sang des soldats, se déversaient dans la terre, teintait l’univers.
Le vent chantait sa complainte funèbre dans les rues mal entretenues.
Chaque foyer pleurait un homme, et il faudrait attendre la prochaine génération pour qu’elle puisse prendre la relève, et faire prospérer la terre.
Pourquoi…
Pour que le cycle se perpétue, tel un serpent qui se mort la queue…
Le dragon avait perdu ses ailes et ses dents, il s’était transformé en vulgaire lézard.
Elle ne voulait plus que s’éteindre et rester dans le passé, passant le flambeau pour que les siècles à venir finissent par valoriser la paix et le bonheur.
Mais l’homme, capable du mieux comme du pire est-il fait pour ça.
Son côté sombre peut-il être vaincu par la lumière?
Pourrait-il porter une lanterne pour éclairer son cœur, l’empêcher de verser vers les ténèbres…..

dimanche 17 octobre 2010

Bleu

La photo choisie (déclinée en deux façons) n'a pas été choisi pour la qualité technique de celle-ci, mais bien pour la qualité "scénographique" qu'elle a inspirée aux deux auteurs. Ils se promenaient, un matin (une fin de nuit plutôt) d'été, ils s'étaient levés tôt pour attraper le soleil qui se lève. Il ne s'est finalement pas levé ce matin là, les nuages lui ont volé la vedette... Mais ils ont été témoins de cette ville qui s'éveille, ou qui s'endort, selon les personnes, et en sont encore ravis, lorsqu'ils y repensent.
Bonne lecture !

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Lui :

Clown blanc, clown auguste…
Connaissez-vous la  commedia dell’arte ?
Le Capitan, le Polichinelle, Pantalon et les Zannis ?
Les masques…
Le clown blanc, si élégant, digne, autoritaire, qui fait valoir l’auguste, avec son nez rouge et ses souliers trop grands.  
Malgré sa bonne volonté, le clown auguste qui enchaine les accidents et les pitreries.
Son univers  déstabilise le clown blanc, qui le domine.
Celui-ci semonce alors le clown auguste de sa prose étudiée :
"Vous êtes en état d'arrestation pour avoir troublé l’ordre publique, comprenez-vous?  Vous avez le droit de retenir les services d'un avocat sans délai, nous vous fournirons un avocat si vous n'avez pas votre propre avocat. Tout ce que vous dites peut être utilisé en cour comme preuve.  Comprenez-vous? Souhaitez-vous parler à un avocat? "
C’est une invitation à participer à la grande comédie humaine, avec les grands. Monter sur les planches et y jouer sa vie.
Derrière son masque, le clown blanc verse une larme, comme un Pierrot le ferait. Si son rôle n’est pas assez bien joué, il se retrouvera jugé, lui aussi.
De ce fait, le clown blanc se retrouve parfois dans la position du clown Auguste.
Les rôles sont inversés…
La comédie évolue, devient une tragédie.
C’est une pièce cynique, cruelle, avec des histoires d’amours et des revirements à couper le souffle.
Elle se passe tout près de vous, si vous sortez un tant soit peu.
Pas besoin de faire la file pour entrer dans ce théâtre aux allures de palais, pour voir la comédie de la justice.  Le théâtre de rue  est beaucoup plus vivant, plus accessible, voir même, interactif !
Le badaud, le passant, peut s’y retrouver et devenir comédien. 
Découvrir le grand jeu, peut-être y prendre goût, en rester marqué à jamais.
Rire et pleurer, comme spectateur ou acteur. Improviser, ou suivre un scénario bien ficelé.
Être agent libre, ou jouer dans l’échiquier.
Qui gagnera le cœur de Colombine ?
Et à qui Colombine brisera t’elle le cœur ?
Quelle sera votre stupéfaction de réaliser que soudainement, le miroir s’est inversé. Que les comédiens sont devenus spectateurs et vous observent, dans votre propre pièce.
Serez-vous flamboyant ? Arriverez-vous à charmer les critiques, ou ceux-ci vous immoleront-il sur l’autel de la popularité, désintéressés par la banalité soporifique d’une existence normale.
 Sombrerez-vous dans les affres d’un clown auguste, tout juste bon à susciter l’irritation et la colère des clowns blancs.

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Elle :
Toute la semaine, attendre que vendredi arrive. Se lever du lundi au vendredi, tous les matins la même chose, des toasts, un café et la solitude. Tous les jours de la semaine les mêmes gestes banals… Les mêmes routines. Marcher 10 minutes vers le métro, prendre le métro, se sentir seul, malgré les sourires qu’on essaie d’échanger avec les autres. Sortir du métro, acheter le journal, marcher 15 minutes pour rentrer au boulot. Saluer Roger en passant chercher son café et arriver devant la porte du bureau, respirer un grand coup. Se rappeler que ce travail est essentiel à notre survie. Sourire, oui sourire !
Soupirs…
Une fois assis, faire ce que doit, mais attendre. Attendre la pause, attendre l’heure du dîner, attendre la pause encore et enfin… Attendre la fin de la journée. Et sur le chemin du retour, se demander pourquoi attendre au fond. Qu’est-ce qu’on fera de si important, de si intéressant dans la soirée ? Sinon manger un macaroni devant la télé que l’on trouve si fade et sans intérêt. Que fera-t-on de notre vie ce soir ? Si peu, si peu. Il est loin le temps où la croyance de pouvoir changer le monde existait en nous, il est loin le temps où les amitiés fleurissaient dans notre salon, verres de vin à la main et rires à profusion ! Il est parti avec lui, quand il a fait ses bagages, quand il est parti. Ce temps où la vie coulait dans nos veines, ce temps où on avait dédié notre vie à cet homme si grand, si fort, si parfait. Cet homme qui remplissait nos nuits de magie, nos jours de mots d’amour. Tiens… Depuis combien de temps on est comme ça seul et sans but, à attendre que ça passe ? Un, deux… Quatre ans ? Déjà ? On s’enfonce et pourtant personne ne se rend compte. On vit, on respire, on mange, on travaille, on nourrit le chat. On se lave même, on arrive à aimer notre reflet dans le miroir. Mais on s’isole, encore et toujours.
Alors on se repose sur les gestes essentiels à la survie. Manger, dormir, travailler, marcher. On rêve de voyages, de grands départs, on rêve de s’ouvrir enfin à la vie et d’entrer en contact, alors on sourie… Oui on sourie… Mais ce sourire n’arrive pas à illuminer nos yeux. Pas encore. Alors on garde espoir. Hein qu’on garde espoir ?
Soupirs…
Mardi, mercredi, jeudi… Toujours pareils, à peu de choses près… Parfois il fait soleil, parfois il vente, il pleut et parfois même, il fait une chaleur à faire fondre les glaciers…
Mais le vendredi. Oui le vendredi…
L’attente ne sera pas veine. Le vendredi est un soir spécial, c’est le soir où on peut enfin exister vraiment, où on n’est plus seul. Le soir des lumières intenses, le soir où l’air qui entre dans les poumons oxygène le cerveau et le cœur. C’est aussi, très souvent soir de fête sensuelle. Le vendredi, c’est le soir pour nous, où grâce à ce que le beau petit cul nous vend, cette camelote rose ou bleu, ou blanche et où enfin, on ne se souviens plus ni notre nom, ni surtout le sien, le soir où le film de ses pas dans les escaliers ne revient pas nous hanter… Soir où la fête s’empare de nos neurones, soir où les sens en transe, on entre dans la danse, un soir où la peur n’a pas loi sur nos sens, nos désirs, sur qui on est vraiment. Il suffit d’avaler ce truc, d’entrer dans ce club, si branché et de danser. Danser, danser, danser… Danser seul ou ensemble avec les autres, les touchers, les embrasser, les lover… Ne faire qu’un avec la terre, ne faire qu’un avec la musique, la lumière et tous les bras qui frôlent, qui enlassent et toutes les bouches qui rient, qui parlent et qui chantent. Et qui parfois embrassent… Comme on aime embrasser… Comme c’est bon, d’enfin se sentir libre, libre libre !
Soupirs…
Sortir au petit matin, un peu échevelé, beaucoup lessivé.
Sortir au petit matin, regretter un peu de ne pas y arriver sans ce « petit miracle » chimique. Mais savoir si fort, si fort au fond de soi que sans ça. On en crèverait ! Sans ça on n’y arriverait pas. En pleurer de rage, se dire qu’il faut sortir de la torpeur. Mais s’échouer dans notre lit, enfin paisible, dormir jusqu’au dimanche parfois même… Et recommencer le lendemain. Recommencer cette comédie.
Sourire, sourire dans le métro, au boulot, à Roger au café, sourire à notre chat même… Mais être seul, seul et seul encore… Jusqu’au vendredi suivant.
Soupirs…
La semaine sera longue.

mercredi 13 octobre 2010

Les Fou de Bassan

Elle :
Je bute sur cette histoire de fou de Bassan qui me trotte dans la tête depuis une semaine. L’envie de raconter l’épopée d’un fou de Bassan solitaire qui est obligé d’être solidaire avec toute la colonie et ses envies de départs, ses désirs d’être ce qu’il n’est pas au fond.
Mon personnage aurait un dialogue intérieur fort, puissant. Se remettrait en question avec drôlerie et lucidité.
Mais je tourne en rond, je n’avance à rien et le temps de publier est dépassé depuis dimanche passé…
La vérité c’est qu’en fait cette image de Fou de Bassan me touche beaucoup. On dirait qu’il se cache derrière cette branche d’arbre. Je me cacherais aussi à sa place ! Il y avait tant et tant de bruit à cet endroit, tant et tant d’oiseaux aussi! Le guide qui expliquait leur façon de vivre, a raconté qu’un fou de Bassan part jusqu’à trois jours pour se nourrir. Trois jours en mer, seul. Que ça doit faire du bien me suis-je dit aussitôt.
Je suis une personne grégaire pourtant. Du moins je me suis toujours définie de cette façon, tous mes amis pourraient aussi le faire. Je me sens pourtant en mutation présentement. L’âge peut-être? Un changement majeur semble vouloir faire place et je m’en rends compte à cause grâce à la façon dont je bute sur ce texte. Je regarde l’image et je n’ai que l’envie de partir moi aussi loin, en mer. Seule? Je ne crois pas. Mais loin, ça oui! Changer de vie, comme on change de peau. Pas ma vie familiale, ni amoureuse, mais tout le reste, oh oui, je partirais et me rebâtirais ailleurs. Être un fou de Bassan, je me perdrais en mer, je ne reviendrais pas vers cette colonie où tout semble ardu, où la survie prime sur tout le reste. Vous me direz que ce sont des oiseaux, qu’ils ne s’en rendent pas compte, que c’est comme ça. Qu’en bons vivants ils font ce pour quoi ils sont sur la terre. La reproduction de l’espèce. C’était ça pour nous aussi, avant. Avant que l’on se mette à penser, à mutiler transformer notre planète pour tous nos besoins qui ne cessent de gonfler… Jusqu’à l’éclatement!
Ce fou de Bassan me renvoie à mes propres contradictions. L’envie de faire partie d’une colonie, d’être entourée et le besoin de plus en plus pressant de me centrer, de réduire le cercle. Le besoin de tout foutre en l’air et rebâtir ma vie simplement et de ne pas quitter le confort que je commence à peine à ressentir. Avoir totalement envie de partir de zéro, mais en même temps avec la peur au ventre de tout perdre, ce qui me définit depuis si longtemps. Perdre mes repères en sommes.
Comme le fou de Bassan je voudrais aller me perdre en mer pour me nourrir, voler de mes propres ailes, ne pas attendre un chèque de paie, ni même l’approbation d’autrui pour prendre mon envol.
Dans mon histoire, ce fou de Bassan s’appelait Hector.  En mer il rencontrait baleines venues de loin, autres oiseaux partant plus au sud passer l’hiver rude qui s’annonce… Dans mon histoire, Hector faisait ce pour quoi il était né. Il se nourrissait, volait, se reproduisait, mais il voulait autre chose. Il voulait plus ou moins… Mais autre chose. La fin de l’histoire vous demandez-vous?
Eh bien, Hector comme nous tous… Ne peut changer sa nature profonde. Il peut en rêver la nuit, le jour, faire des plans, en parler à ses potes, à sa compagne de vie… Et pourtant ce qu’il est profondément, ne changera pas.
Comme moi.
Je balance. Entre mes rêves de solitude et ma nature profonde qui est d’être une rassembleuse, une grégaire…
Mais…
Et c’est la beauté d’être née humaine, plutôt qu’oiseau…
Et si je m’étais trompée sur ma nature profonde?
Et si ce que j’appelle ma nature profonde n’était qu’un masque, qu’une façon que j’ai eu de m’adapter à la vie? Si au fond je n’étais qu’une exclusive, une solitaire…
La question se pose.
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Lui :
On dit d’eux qu’ils sont fous.
Pas très loin des falaises, sur l’île Bonaventure… Ça sent bon la forêt de sapins. Le sentier est parfois abrupte, l’air est pur, un peu salin.
J’ai de bonnes bottes de marches, mais ma copine n’a pas pensé à changer de souliers… Nous pensions rester sur le bateau. Nous n’avions jamais pensé accoster sur cette île si fabuleuse. Qu’à cela ne tienne, personne n’est jamais mort à cause de quelques ampoules…
Je l’aime. Elle n’hésite jamais à partager nos folies, et elle sait s’ajuster à nos plans aussi vite que nos intérêts l’exigent.
À force de progresser, on commence parfois à apercevoir le bleu de la mer qui tranche avec celui du ciel.
Soudainement, on s’arrête. Il y a ce bruit qui résonne. Il vient de partout. Très guttural, presqu’à mi chemin entre le croassement et les percussions de bois.
Il enfle, fluctue, nous enveloppe. Ce bruit troublant nous indique quelque chose de grand, d’énorme. C’est excitant, mais aussi un peu troublant. Je n’ai jamais entendu rien de tel… Ou si, peut-être, pendant une émeute. Le centre ville résonnait, ses murs protestaient, amplifiant les sons de bagarres, de casses.  Les bottes cloutées de l’escouade anti-émeute chargeant, les matraques contre les boucliers, avertissant quiconque se trouvant dans leur chemin que ce soir risque de devenir un enfer.
C’est le son de plusieurs milliers d’individus, qui célèbrent, qui se battent, qui protestent. Un joyeux bordel communautaire.
Mais bon… Je suis sur l’île Bonaventure, pas à Montréal!
Nous débouchons sur la falaise, un spectacle impressionnant, presque surréel. Des dizaines de milliers de fou de Bassan.
Puis il y a l’odeur.
Elle vous prend au nez. À la gorge.
On ne sait pas trop, si on va s’y faire, ou bien s’en écœurer.
Le spectacle est tellement fascinant.
Ils sont partout, dans les airs, sur terre… Ils couvrent l’espace, le remplissent.
On oublie de regarder le panorama, la mer à perte de vue… Désormais presque banal.
Il y en a tellement. Incapable de se reconnaitre entre eux. Simplement rattachés à leurs nids.
Tellement absorbés à survivre et à perpétuer leurs routines, la nidification, la chasse, l’accouplement, la mort.
Ces oiseaux, à mon avis, sont d’une cruauté sans bornes. Ils s’attaquent entre eux, sans hésiter, et protègent leur nid à tout prix, sans jamais se poser de questions. La femelle est dominée, et doit se soumettre en montrant son cou, ou périr.
Si leurs rejetons tombent du nid, à quelques centimètres, ils le repoussent comme un intrus, prêt à le tuer, et le laisse mourir de faim… À moins qu’un voisin s’en charge à leur place.
Ils  s’absentent très longtemps pour trouver de quoi se nourrir, parcourant des distances incroyables pour revenir à bon port. Leur technique de chasse est redoutable, lorsqu’ils piquent vers leurs proies, déjà mortes avant de le savoir.
C’est une communauté fascinante et terrible à la fois.
Les fou de Bassan…
J’ai l’impression de voler depuis tellement longtemps.
Mon crâne résonne. Lors de ma dernière piquée, j’ai due heurter quelque chose.
Je ne sais plus ou je suis. Alors je vole.
Je finirai bien par retrouver mon chemin, une référence, un indice qui saura bien m’indiquer le chemin vers mon nid.
En attendant, j’ai l’impression de tourner en rond. Je suis habitué à voir la mer défiler sous mes ailes et parfois, quelques maisons de pêcheurs aux couleurs vives. Les maisons sont devenues de plus en plus nombreuses, la lumière est plus glauque, l’air me brûle les poumons et me tourne la tête.
J’entends ce bruit ambiant qui fait vibrer mes os. Tout n’est qu’une immense vibration, enrobé d’une odeur de pétrole et de diesel.
Bientôt, ma compagne va être trop faible, elle qui m’attend depuis si longtemps… Elle n’occupe pas souvent mes pensées. C’est naturel pour nous, d’attendre l’autre. C’est dans l’ordre des choses.
Ce n’est pas comme chez les humains d’en bas.
Il y en a tellement. Ils sont partout, dans leurs coquilles bruyantes sur quatre roues.
Ils se cachent du soleil, je ne les vois jamais nourrir leurs enfants. Ils sont toujours en mouvement, stressés, anxieux.
Ils semblent vivre dans la propreté, mais couvre l’air et la mer de leurs déchets.
Je vois leurs nids monstrueux à perte de vue. Ils partent le matin, reviennent le soir. Sans buts.
J’entends les sirènes, je sais qu’ils sont capables de tout, mais pas seulement entre eux… Ils sont capables du pire pour tout ce qui les entoure.
Par une des fenêtres d’un de ces énormes récifs qu’ils habitent, j’entends une violente dispute. La femelle se montre pourtant soumise, mais le mâle continu, s’acharne… Je ne comprends pas.
Il l’a  pourtant reconnu comme sienne, mais il persiste à la traiter comme nous traitons les intrus.
C’est une communauté fascinante et terrible à la fois.
Les humains…
 

mardi 5 octobre 2010

On voit ce qu'on veut (peut)...

Lui :
On voit ce qu’on veut…
Cette journée là, écœuré d’un emploi fade qui ne vise qu’à prendre en défaut, j’étais absorbé à consulter les cartes routières. Le GPS protestait, complètement paumé…
Je traversais un village perdu dans les champs. Le carrefour habité par des bâtiments anciens et colorés d’une autre époque. Un autre temps ou les gens se parlaient, prenant l’air sur leur balcon, se saluant.
Le carrefour était désert.
Un petit snack bar, dont les chaises désordonnées ne retrouveraient probablement jamais leur blancheur d’origine, donnaient à penser que l’endroit pourrait être accueillant, s’il était peuplé.
 J’y croisai une église. D’énormes érables de chaque côté de l’allée, et des sapins, pour adoucir la canicule et baigner les visiteurs d’une ombre rafraichissante.
Je ne sais pas pourquoi je m’y suis arrêté.
Ce besoin de changer le mal de place. De me ressaisir peut-être. Me retrouver, sortir de ma torpeur et de la routine.
Comment choisir lorsqu’on fait face à des choix déchirants qui nous ramènent à notre essence même. Cette impression qu’un mauvais choix puisse faire s’écrouler d’énormes pans de notre existence.
Pourtant, la mort engendre la vie… Elle fait de la place pour ce qui doit naitre et croitre.
On peut s’abrutir dans le travail, mais la réalité nous rattrape toujours.
Au début, elle nous fait une caresse, un murmure… Puis au fil des semaines, selon l’intensité et l’urgence du problème, elle nous bouscule de plus en plus. Elle devient un tourment, jusqu’à nous rendre malade, perdu dans les affres et la peur de quitter l’immobilisme rassurant.
J’imagine que les églises perdues ont aussi cette mission, celle de recueillir les âmes errantes qui s’y égarent…
J’y ai croqué quelques photos… Un peu désabusé sur le moment. À me demander à quoi rimait tout ça.
 Ce n’est que plus tard, que j’ai réalisé la tristesse de mes photos.
Comme si mon âme me montrait ma réalité. Moi, celui qui rit tout le temps. Celui qui dérange avec son rire tonitruant, maintenant silencieux… Comme un village au creux des champs. Déserté.
Il y a cet ange, qui me renvoie à mes devoirs, l’air perplexe.
Qui se demande bien ce que j’attends.
Quand?
Combien de temps?
Alors qu’un simple déclic, une simple décision, un plongeon dans l’action.
Jusqu’à la prochaine crise…
Existentielle ou non.
Un prochain carrefour pour m’amener vers de nouveaux horizons…
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Elle :
Les anges sont tristes.
Du moins celui-ci.
Est-ce un ange d’ailleurs ?
Nul ne le sait.
Il est triste et seul.
Qui le voit ?
Qui remarque la patine du temps sur ses tempes, ses lèvres, ses joues ?
Non pas les amoureux, qui pourtant s’y adossent pour s’embrasser. Ils sont bien trop occupés de faire monter le désir, de faire monter la passion pour remarquer le regard qui les surplombe.
Non pas non plus ce mendiant affamé, assoiffé surtout, qui doit s’appuyer dessus pour arriver tout en haut des escaliers, afin de trouver un peu de chaleur, près des murs de pierres, là bas… Plus loin.
Il ne sait pas si tous les anges sont tristes.
Mais il sait une chose, c’est qu’il est forgé de cette manière.
Il aurait tant voulu être souriant, confiant.
On l’a coulé, triste et pesant.
Il sait qu’on ne peut changer sa nature profonde.
Quoi qu’il arrive, son regard sera pour toujours, du côté du découragement.
Le plaisir, apparemment, ne faisait pas partie des intentions de l’artiste qui l’a imaginé, façonné, travaillé, inventé.
Cet ange est triste.
Tel est son destin.
(Cette photo me touche beaucoup.
Je l’ai reçu par courriel un jour où tous les sentiments éprouvés n’étaient pas une option. Je trouvais tellement intense cette synchronicité entre l’image et mon sentiment intérieur. Comment pouvait-il savoir à ce point comment je me sentais ?
Peut-être n’en savait-il rien au fond. Peut-être était-ce là un hasard, comme la vie sait si bien en mettre sur notre chemin, comme pour nous faire croire qu’il y a un sens, un destin.
Ça, je ne le saurai jamais.)