mercredi 23 mars 2016

Ballerine toujours... (ôde à Lou)

Lui :

J’ai connu une danseuse de ballet classique.
Musclée.
Racée.
Aérienne.
L’air et le regard vers l’ailleurs, un pied dans notre univers, l’autre avec les chimères.
Ses chaussons de soies la portaient,  le tulle la soulevait.
Son âme n’aspirait qu’à être un mouvement gracieux qui ne pouvait venir d’ici bas.
Cette danseuse m’a porté.
Personne ne pouvait se douter qu’en son sein, se trouvait une autre vie.
Et elle dansait…
Comme si sa respiration en dépendait.
Une fuite loin d’ici.
Vers un monde éthérique sans bassesses, pur…
Un monde de sueur et de travail acharné aux airs de brises légères.
Un monde où la colère et le mensonge ne sont qu’un changement de rythme dans l’enchainement des pas et des gestes.

Son ventre a bien fini par grossir. Oh si peu.  Mais l’évidence était là.
Il aura fallu 6 mois pour réaliser qu’elle ne dansait plus seule.
Qu’à cela ne tienne, elle continuerait à danser.
Mais être mère vous ramène un ange au sol. Les nuits blanches, les nerfs à vif, les moments de bonheur aussi.
Être mère, c’est être dédié à son enfant comme une ballerine est dédiée à la danse.

Elle y retournera, j’en suis témoin.
Dans ma mémoire, je puise les images, les sons et les odeurs.
Gravés profondément.
Des créatures graciles et majestueuses, s’exécutant dans la douleur et la souffrance, baignées de sueurs, sans jamais de plaindre. Les notes de piano qui murmurent les gestes adéquats, ou martèlent les corps qui se jettent au sol. Les barres et les miroirs, témoins de ce travail acharné et titanesque.
Les corps, brisés, s’élèvent  vers l’essence de la pureté, le geste parfait.

Puis la monoparentalité finira par briser le rêve.
Elle devra bien se résoudre à trouver un travail plus payant pour élever son enfant.
Cet instant de plaisir qui est venu briser ses rêves et les remplacer par autre chose.

Bien des années passeront.
Des rires, des pleurs.
La maladie qui lui enlèvera la raison.
Jusqu’au jour où, dans mes bras, je deviens celui qui la porte.


Je la serre sur mon cœur, brisé.

Je suis sa mémoire.
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Elle :
La sueur, les pieds en sang, les orteils croches et la fierté d'y être enfin!
Danseuse, capable et officiellement professionnelle!
Que de travail, que de larmes, que de vigilance!!
Premiers contrats pour un petit spectacle et contrat plus important encore : Enseigner la danse et l'amour de celle-ci à des enfants. Faire avec eux la machine à laver, le papillon qui vole et leur donner l'envie de faire tous les jours des pointes, pour approcher la perfection...
La perfection en danse ça commence à 4 ans les amies...
Elle n'avait pas eu cette chance, venant d'une famille déchirée et dysfonctionnelle, elle a dû se battre pour faire accepter ses choix, son goût pour l'art. Ils n'y ont vu qu'un passe-temps... tant mieux. Ça lui a laissé tout le loisir de travailler dur sans relâche pour arriver ici, dans ce local rempli des reflets des miroirs et où elle croit entendre tous les cris d'efforts des danseurs qui travaillent un pas ou un porté.
La fierté qu'elle ressent!
Elle en est presque étouffée!
C'est une bonne période pour elle, elle s'est affranchie de ses parents, aime le grand Jules et il l'aime en retour. Ce sont de belles années qui s'en viennent. Des années où elle pourra perfectionner son art.
"Assez rêvassé" se dit-elle!
Elle se replace devant le miroir, rentre le ventre qu'elle n'a pas, lève le menton, pratique son sourire qui n'est pas si avenant et respire afin de commencer à recommencer sans fin les pas de base de la chorégraphie.
On n'entend dans la salle que son souffle et le bruit de ses pointes qui touchent le sol pour la soulever...
Sans relâche et jusqu'à la tombée du jour elle travaille.
Ça fait mal et ça fait du bien en même temps.
...
Le soir en sortant de sa douche, juste avant d'aller au lit, rejoindre la peau de son grand Jules, elle regarde son pot de pilules anticonceptionnelles... Merde... elle ne les a pas prises régulièrement... La peur au ventre ce soir là, elle n'a pas démontré son affection autrement qu'avec des baisers...
...
Plusieurs années ont passé depuis cette journée où tout semblait possible. Elle regarde son garçon dormir sur les manteaux des autres danseuses du cours et elle réalise que l'an prochain il ira à l'école et qu'elle ne pourra plus le trimballer comme ça. Elle fait ses dernières pointes en pleurant. Elle sait à ce moment que c'est terminé pour elle la danse. Elle sait que malgré le grand cadeau de 4 ans qui dort à poings fermés sur le son du piano et des pointes, elle sait qu'elle est en train de sceller son plus grand deuil. Elle ne sait pas encore qu'elle lui en voudra un peu, comme à la vie. Elle a enlevé ses chaussons de douleurs et en douceur est allé réveiller son grand : "Allez mon amour, on s'en va à la maison... dis au revoir aux dames"
Elle est partie vite, a coupé court aux embrassades et a pleuré tout le long du chemin.
...
L'histoire ne dit pas si elle a cessé de pleurer la danse, mais l'histoire nous a appris qu'on pouvait d'un œil sourire et de l'autre pleurer...
Il paraît que de cette pratique des deux sentiments l'a épuisé.
Il paraît qu'elle danse maintenant au ciel, avec sa mère qui lui fait de la soupe, son frère qui la dessine et sa sœur qui lui parle sans cesse de sciences et de biologie.
Il paraît qu'elle danse en regardant sa famille et elle pleure encore, de les avoir manqués à ce point-là.
 

mardi 26 mars 2013

Revenir





Lui:

J’ai envie de me fondre en toi,
de me consumer dans ton brasier,  
mourir un peu, pour renaitre un peu mieux.
Plus léger, un petit élan, pour m’envoler.
Pas suffisant je sais, mais assez pour garder la tête hors de l’eau et ne  pas étouffer.
Juste au-dessus des nuages, loin du firmament.
Pour regarder à perte de vue, les sommets à gravir,
des existences meilleures, mais pas la mienne.


Des pics et des monts dont on ne voit pas la base,
des sommets merveilleux trônant parfois sur le désespoir,
la peine, les regrets, des forêts de rochers plongées dans le noir.
Parfois on oublie notre propre bonheur,
à trop se concentrer sur celui des autres.


Je retombe doucement, contre ton corps.
Entouré de draps froissés, témoins du plaisir.
Un chat, dans la fenêtre, ronronne sous le soleil,
dont j’accroche les rayons pour t’en offrir un bouquet.


J’ai envie de partir avec toi, très loin.
M’enfuir des tracas, t’amener découvrir notre bonheur.
Mais, ton index sur mon nez, une moue coquine,
tu me regardes frondeuse en me faisant la morale.
Il est ici, notre bonheur.
Palpable, absolument temporel, à consommer immédiatement.
Il faut le labourer dans ta terre fertile, le semer, pour le récolter demain,
et tous les autres jours à venir.


Mes plans d’évasions et mes envies d’ailleurs s’évanouissent.
Je replonge dans tes yeux me coller contre ton âme et partager nos rires. Tu es mon port d’attache, je suis ton phare bravant la tempête,
en érection dans les remous et les vagues déchainées,
comme autant de folles passions exaltées.


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Elle:

C’est quoi ce bruit?

Est-ce que tout est OK?

Je regarde tout autour et tout le monde à part moi semble se comporter avec aisance.
Mes enfants sont partout, mais pas à côté de moi.
Mon amoureux aussi est seul, mais il dort, ça ne le dérange pas.
Et moi.
Je n’ai personne à qui donner la main pour soulager un peu l’angoisse qui me gagne, quand
je suis plus haute que les nuages.
C’est la nuit. On ne voit rien que du noir.
Parfois au loin un autre avion qui vole.
Il est si près.
On pourrait avoir un accident non?
(Respire, respire…)
Je me concentre sur le film qui est nul.
Mais ça m’aide à penser à autre chose.
Je regarde le visage des agents de bord.
Comme le personnel semble fatigué.
Mais ne semble pas inquiet.
Je ne suis pas à côté du hublot, mais bien de l’allée…
Alors je me sens bousculé à chaque fois que quelqu’un passe pour les toilettes ou encore pour vendre du vin ou du parfum ou je ne sais quoi!
Le personnel à bord nous tient occupés.
Des brochures à remplir.
Des trucs que l’on peut acheter.
Les choses à manger, à boire.
Gentil, courtois, mais avec les traits tirés.
Est-ce parce que le vol va mal??
J’essaie de dormir, mais n’y arrive pas.
Trop tendue.
Je retourne aux souvenirs si proches de nos vacances en famille.
Cuba et son rhum.
Cuba et ses gens si charmants.
Cuba et la plage.
Cuba et son bleu si lumineux.
Et puis…
Orages. Plusieurs orages!
Nous survolons une zone orageuse, mais par-dessus.
Je regarde par le hublot et je vois les éclairs qui descendent vers la terre.
C’est magnifique!
Si la pensée d’être si haute et si vulnérable dans les airs ne parvenait pas à ma conscience, je pourrais profiter de toute cette force de la nature.
Plus bas, une grande ville!
New York peut-être?
C’est immense, lumineux et sous la pluie!
Nous, nous regardons de haut.
Nous ne faisons pas partie de la tempête, on observe.
Je me lève pour passer le temps.
Aller voir mes enfants qui rêvent de New York et leur dis de regarder en bas… de regarder l’orage.
Je les réveille! (Coudonc… Il n’y a que moi qui suis inquiète dans les avions ici???)
Je me rassois. Pas fière de moi.
Et essaie de me détendre.
Encore!
Quelqu’un dit que nous sommes arrivés au-dessus de Montréal.
Et ma foi.
C’est vrai!!!!
Comme elle est belle ma ville!
Comme j’aurais voulu la regarder avec les mains de mon amoureux dans les miennes.
Quand j’ai pu distinguer clairement les lettres rouge écarlate du Vieux-Montréal.
Quand j’ai vu les silos et la montagne…
Et que je voyais clairement les ponts qui tiennent Montréal par le bras.
Je me suis sentie chez moi.
Et tellement chanceuse de pouvoir regarder cette beauté de haut.
(Pas de si haut quand même… on voit les autos clairement, les gens marcher. La 40 que l’on survole ne semble pas si basse…)
J’avais jusqu’à ce jour, vu Montréal de toutes les coutures me semblait-il.
Je ne l’avais pas encore vu à vol d’oiseau!
Comme j’aime cette ville.
Grande et petite à la fois.
Comme je l’aime encore plus, depuis que je suis avec lui.
Finalement, quand les roues ont touché le sol à Dorval.
J’ai enfin respiré d’aise et de bonheur!
J’ai eu hâte tellement de serrer mes petits dans mes bras, et l’embrasser lui.
Parce que je trouvais à cet instant précis.
Qu’on menait donc une belle vie!







jeudi 24 janvier 2013

Lumières

Elle:


Le souffle court, l’herbe humide qui lui pique la nuque. 
Elle attend, sa main dans la sienne, que ça commence! 
C’est un soir spécial. Un soir où la musique joue fort tard, un soir où tous sont dans le parc, même s’il fait noir. Un soir de fleurs de lysée… Un soir de fête. 
Le quartier n’est pas huppé, alors ça hurle plus que ça ne chante, ça crie des mots interdits pour manifester sa joie. Mais c’est la fête! 
Partout du popcorn, des hot-dog, de la barbe à papa rose. Et elle est avec elle! 
Elle la voit si peu et c’est elle la choisie pour fêter la St-Jean en sa compagnie!
Elle lui a dit plus tôt au téléphone : 
« J’m’en viens te chercher, on va aller aux feux d’artifices! » 
La petite aux grands yeux, a couru jusqu’à la chambre pour aller voir comment belle elle pourrait s’habiller pour sortir avec le grand amour de sa vie!  
Ses cheveux trop courts remplis de rosettes qui font trop de couettes, elle ne peut les rendre plus beaux, elle se fait donc une raison et passe aux choses sérieuses. 
Jupe ou short? Une jupe. Elle en a une toute rose à volants qui semble flotter dans les airs quand elle tourne et tourne encore sur elle-même! Avec une petite camisole et un petit foulard dans le cou, pour faire joli… 
Oui! Elle sera en rose pour accueillir son adorée.
Et puis elle est arrivée!
« Maman!!! » 
Elle lui saute au cou, l’embrasse partout, rit trop fort, prend trop de place, elle le sent. Mais son bonheur est immense, il éclate trop fort, c’est puissant! 
Sa mère ne sait plus quoi faire pour la faire se calmer et lui présenter son ami.
« oh non… » 
Se dit-elle boudeuse. Je vais devoir la partager. Encore! 
La fête semble déjà moins tentante, moins alléchante. La boule dans la gorge se reforme, les bisous se taisent. Sa mère est bien moins belle quand un homme est à ses côté. 
Quand elle rit c’est pour le séduire lui. Quand elle donne la main, ce n’est pas pour prendre la sienne. Elle a dans la voix quelque chose de grave et c’est comme si elle ne la reconnaissait plus. 
Pas qu’elle la connait beaucoup sa mère. Elle la voit si peu. Elle ne sait plus pourquoi, mais elle vit ailleurs, chez des gens. Elle ne sait pas encore que des enfants comme elle portent un nom. Elle sait juste que sa mère quand elle la voit, elle la voudrait pour elle seule.
Elle se sent méchante mais c’est plus fort qu’elle. Mais comme toutes les fois avant, elle sera plus gentille encore, plus avenante, plus intelligente, enjouée et rieuse. 
Elle la charmera de ses bonnes notes et de son bon maintien, de toutes les choses qu’elle connait maintenant. Elle tente de chasser la boule dans la gorge avec de la liqueur et des hot-dog… 
Elle mange probablement trop de pop-corn, mais c’est la fête! Elle hurle avec les autres, danse et danse encore pour faire voler sa petite jupe rose. 
« Regarde-moi maman! Regarde-moi! »…
Sa mère rigole, trop fort pour le goût de la petite. Mais elle vient la prendre par la main. 
« Viens ma chérie, on connait un endroit magique, où les feux vont venir nous embrasser… »
Ils ont marché dans le noir près de la rivière, se sont éloignés de la fête. Bientôt le monsieur a trouvé un coin tranquille et tous se sont installés couchés sur l’herbe. 
La petite a bien essayé de venir s’installer entre eux, pour les séparer, mais elle a sentie que sa mère en était agacée. Pour lui plaire, elle est allée de l’autre côté… a boudé un peu. Pas longtemps. Incapable de bouder son plaisir de la sentir si proche d’elle et puis dans un grand fracas, dans un bruit assourdissant, le ciel s’est éclairé d’un grand cercle doré!
La petite a fait le saut et s’est mise à pleurer. C’était trop beau. Si gros dans le ciel. Et tellement intense qu’elle a mis sa main dans celle de sa mère et elle a profité des couleurs si brillantes, des nuances et à la fin elle riait même des pétarades. Pendant le temps qu’à durée le feu d’artifices, la magie a opérée. La boule dans la gorge a disparue. 
Elle s’est abandonnée au plaisir millénaire ne sachant pas qu’au départ c’étaient en fait pour la guerre, que tant de beautés avaient été créées.

La petite est grande maintenant. 
Elle ne porte plus de jupe rose à volants qui flottent, probablement parce qu’elle ne tourne plus sur elle-même. 
Elle n’est plus jalouse des hommes dans la vie de sa mère. 
Elle sait maintenant comment s’appelaient les enfants qui, comme elle, vivaient ailleurs qu’avec leur mère. Elle sait comment s’appelle la boule qui grossi dans la gorge. Elle sait aussi pourquoi sa mère avait la voix si basse en présence d’un homme. Elle sait aussi que plus d’intelligence, de savoir-vivre et de bonnes notes n’auraient changé le cours des choses. 
Elle est consciente aussi, que c’est grâce à sa mère, qu’il y a au fond d’elle, un cœur d’enfant qui espère encore éclater de joie à la vue d’un feu d’artifices. 
Frappée en plein cœur par ces éclats de lumières, elle suit depuis cet instant, tous les feux qui éclatent dans sa région et ailleurs.
Et depuis qu’elle est avec lui, les feux sont encore plus beaux, plus intenses. 
Car c’est maintenant sans boule dans la gorge et avec sa main dans la sienne à lui, qu’elle observe les feux. 
C’est sa voix à elle qui devient plus basse pour lui dire dans l’oreille combien elle l’aime. Et il la regarde sans qu’elle lui demande, et c’est lui qui la couvre de baisers sur l’herbe humide de l’été.
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Lui:


Je me souviens…
L’odeur d’urine et de couches souillées, les cris, les couleurs vives.
Les pleurs qui montent, les crises, les fous rires. Le refus presque systématique, furieux, de s’étendre dans la salle de repos, alors que mon corps hurle son besoin de dormir. Ne plus vouloir me lever alors que cette femme phare vient m’illuminer de bienveillance.

Puis une fois, un petit ange frisé avec ses petites mains délicates était descendu sur terre pour prendre les miennes et m’emmener jouer avec elle. 
Nous avons pris le thé sans eau et des biscuits dans des assiettes vides. Elle a même eu le génie de terminer avec une bataille de toutous qui s’est terminée en punition dans la salle de repos.
Je me rappelle sa respiration, son rire tout en retenue suivie d’une descente délicieuse vers le sommeil. 
Magalie, le son du bonheur…
Cupidon m’avait touché avec la précision d’un tireur d’élite.

Un jour, elle est disparue.
Ses parents et elle ont déménagé, je crois.
Mon cœur s’est brisé, sans toutefois cesser de fonctionner, dans un faible murmure tenant à la vie dans l’espoir d’un jour la revoir.
Le passage à l’école primaire me fit du bien. Enfin la chance de m’éloigner de son souvenir, de ces toutous qu’elle avait tenus, de ces matelas qui l’avaient accueilli. Tout me criait qu’elle avait été beaucoup, dans ce tout qui était encore si peu.
L’école primaire, c’est un voyage dans la ouate, sans odeurs, l’éternité figée pour sauvegarder mon âme. Je l’ai traversé sans m’en rappeler pour arriver sain et sauf à l’école secondaire.
J’ai même fini par me faire une blonde.
La vie redevenait ce sentier fleuri aux airs de pop rock, le sourire réintégrait mon visage.
Le temps s’est écoulé paisiblement, entre deux crises existentielles aussi graves que d’avoir de l’acné ou avoir à choisir si on mange du pain blanc ou du pain entier pour déjeuner, tsé…

Le collège… Le CÉGEP. Maintenant, enfin, j’étais reçu chez les grands.
J’avais le droit de boire de la bière, de conduire une automobile, de diriger ma barque.
Je savais tout! Mais je ne savais pas encore que tout ce que j’avais vraiment à savoir, c’est que je ne savais rien.
Je faisais mes débuts dans cette grande roue qu’est l’apprentissage.
Si j’avais connu ce proverbe chinois qui dit que l’expérience est une lanterne qui éclaire le dos, je ne l’aurais probablement pas compris. Quelle idée saugrenue, que de s’éclairer le dos???
Les cahiers au bras, déambulant d’un pas incertain comme un ado dans un corps d’adulte, un corps trop grand, je me dirigeai vers la classe de philo.
L’univers à cette façon de s’arrêter, parfois. La lumière des néons s’est mise à fluctuer. Les conversations sont devenues des bourdonnements et  mon cœur à perdu son tempo.
Elle était là, assise au dernier rang. Elle ne m’a pas reconnu, mais ses mèches blondes et ses mains délicates ont ouvert ma carcasse sans défense pour se frayer un chemin violemment jusqu’à mon cœur. 
Elles connaissaient le chemin.
Décontenancé, je me suis affalé sur la première chaise pour m’absenter du cours malgré ma présence.
Le cours terminé, je suis resté là, alors que la classe se vidait avec l’air que j’avais peine à respirer.
Puis elle est passée. 
La brise qui accompagnait  son déhanchement timide sentait le soleil nourrissant la verdure. Elle s’est arrêtée pour me fixer, un peu nerveuse.
« Est-ce que ça va? »
La bouche sèche, je réussis à trouver le courage pour dire
« Magalie? »
Sa bouche en forme de coeur se fendit d’un sourire.
« On se connait? »

Nous sommes allés prendre un café, rattraper le temps.
Elle avait un ami, j’avais une blonde.
Elle était intriguée.
Il y  avait quelque chose entre nous, c’était certain. Une chimie. Elle le voyait bien.
À cet âge, on ne sait pas que le temps file si vite.
On ne pense pas qu’il faut saisir le moment.
La vie continue.

Je suis devenu papa avant la fin du CÉGEP, elle est partie faire carrière à Toronto avec son chum. Mon individualisme s’est effacé pour mes enfants et mon chemin s’est déroulé, parsemé d’épisodes d’un mal-être mystérieux combattu efficacement par une panacée d’antidépresseurs au besoin.

Mes enfants sont grands, je suis divorcé.
Ma vie se résume à quoi…
Je ne sais pas.
Ça, je le sais!
Quel gâchis. Je suis fière de mes enfants, mais... Et moi? Quel modèle puis-je leur offrir?
Faites des enfants, puis cessez de vivre lorsqu’ils seront partis?
Un son provient du bureau. Du courriel dans ma boite de messagerie.
Free pills
Rolex replica
Weight loss now free
Loan funding
Magalie du printemps.

Y a t’il un grand architecte là-haut, qui soit assez tordu pour jouer avec mes souffrances au point de s’amuser à essayer de me rendre fou?

C’est bien elle.
À la croisée des chemins.
Elle sera à Montréal ce soir.
Elle veut voir le feu d’artifice avec moi. Elle doit absolument me parler.
Encore une fois, je ne sais pas.
Je n’en peux plus.
J’ai besoin de geler la douleur, de couvrir les plaies qui ne se referment plus.
Mais je ne peux m’empêcher d’accepter.
Toutes les fibres de mon être ont été programmées pour que je puisse la voir. Respirer encore, une dernière fois, un peu de bonheur.

Je suis fébrile. L’air est glacial.
Le vieux port est envahi par la foule.
Peut-être n’arriverons-nous même pas à nous retrouver.
Quelqu’un tire ma manche, je me retourne… C’est elle.
Les yeux pétillants, sautillante, nerveuse et souriante.
Il y a quelque chose de différent.
Elle s’approche de moi, pour une bise, mais ses lèvres se collent sur les miennes.
Son corps est plaqué contre le mien. Sa langue s’aventure vers un baiser charnel et implacable. Elle se soude à lui.  Une réclamation d’amour qui ne souffrira pas d’être refusée.
Le ciel devient rouge et blanc…

Le chirurgien referme la chemise contenant le dossier du patient en soupirant.
Cas classique d’ACV foudroyant.
Les dégâts sont irréversibles… Je ne pense pas qu’on puisse faire quoi que ce soit pour lui.
Un homme dans un lit d’hôpital, immobile, ses yeux fixant le plafond.
La lumière s’éteint.
Ses yeux restent ouverts dans la pénombre.
Pour lui, tout n’est que lumières.

Après la crise vient le beau temps


Il y a bien longtemps que nous n’avons pas publié.
Elle a raison. Le projet axé sur le leg parental et la philosophie ne cadrait pas avec la mission des réflecteurs.
L’idée étant de commenter une série de photos sur le même thème par des textes fictifs et d’en comparer le résultat, l’un vu par Elle, et l’autre par Lui.
Lui a transféré son projet sur un autre blogue, beaucoup plus politisé et voué aux débats sociaux et philosophiques sur http://lesdirigeables.blogspot.ca/ afin que nous puissions continuer à regarder vers le même horizon.
Point de fuite commun, sans retrait si ce n’est qu’une division d’expositions sur deux blogues.
Nous sommes de retour.
Ça ne saurait tarder…
Gardez les yeux ouverts, on veut continuer à vous en mettre plein la vue!


dimanche 4 novembre 2012

Les Attentes


Lui:
Déni?
Rêves?
Fantasme…
Projection concrète ?
Espérances…
Désespoirs…
Bienvenue au pays de la météo… Dans un univers où je voudrais performer et réaliser mes buts les plus fous.
Aujourd’hui, probabilités de réaliser mes objectifs de 60%.
Taux d’évènements contraignants de 20%.
Satisfaction relative de 25%.

Demain, ensoleillé…
Les attentes sont un château de cartes… Un salut financier au casino.
Je dis toujours que si les attentes exacerbent le désir, elles finissent souvent par tuer le plaisir.
Elles sont le prélude de la déception.
Elles sont l’enfant en nous, qui constate qu’un comptoir de limonade à cinq sous le verre ne pourra pas remplacer le job que papa a perdu.
Un espoir fou, qui donne des ailes.
Une pensée fugace qui nous fait sourire.
Un boulet qui peut nous plonger dans l’abîme.
 Pour moi, c’est un paradoxe. Une quête d’un juste milieu fluctuant.
J’aime cette douce folie, cette ambition qui donne des ailes.
Toute grande réalisation commence par un rêve.
Mais une fois engagé sur le chemin de la réalisation, il n’est plus permis de regarder en arrière.
Nietzsche affirme que « douter, c’est ouvrir la porte à l’échec ».
Est-ce que l’attente est le maillon faible de la détermination?
L’attente du retour de celle que j’aime, après une longue absence, qui rend ce long baiser plus savoureux que tous les festins gastronomiques de la terre.
La différence entre faire l’amour et faire le sexe…
Le climax, propulsé par l’attente, car on sait déjà notre compatibilité chimique.
Puis quoi?
La routine…
Le quotidien et ses irritants qui nous font sourire… 
Mais qui, comme les vagues, grugent la falaise immuable, la réduisent doucement en sable.
L’amour se transforme en sexe.
Devient banal.
On oublie ce qui est toujours présent.
On s’oublie. On se perd.
Disparition de l’amour vers le néant d’une vie de labeur.
Alors peut-être que les attentes sont le sel de la vie?
Trop de sel vous durcit les artères… Cela finit par vous tuer.
Pas assez de sel….
Aucun goût.
Plus d’électrolytes.
Pas d’action.
Bon…
J’ai de grandes attentes en ce moment.
Je vais trouver le juste milieu.
Je m’y attèle maintenant. Mais je dois préparer le souper.
Peut-être après le lavage.
Ce soir, il y a cet ami que je n’ai pas vu depuis longtemps.
Demain alors.
Mais demain, c’est si loin.
Et si ma mémoire est bonne, lorsqu’on annonce ensoleillé, il finit parfois par pleuvoir, alors qu’à l’inverse, on peut rester à la maison et manquer une belle journée.
On ne peut rien prévoir avec exactitude.
C’est la seule chose exacte que je sache, en dehors de la certitude de mourir et de payer des taxes.
Sans attentes, on ne peut-être déçu.
Mais il manque ce petit «oumpf ».
Moi qui suis si affecté par l’ordre des choses… Je suis condamné à vivre dans le chaos.
Alors soit!
C’est mieux de valoir  la peine!
Je ne m’attends à rien de moins.
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Elle:
Petite fille toute menue, avec des yeux si grands qu’ils mangent son visage. Sur la galerie devant la maison. Elle essaie de s’amuser, mais tourne constamment son regard vers le bout de la rue. L’attente est si longue, qu’elle se prend à désespérer la venue de celle qu’elle attend pour aller passer une fin de semaine loin de ce balcon maléfique.
L’attente est toujours longue et ardue lorsque ce qui s’annonce sera de l’ordre du plaisir.
Il passe son dimanche à se promener entre sa chambre et l’ordinateur sur la table de la cuisine. Il soupire et tourne en rond. Il se tend comme une corde sur un arc, se dit qu’il devrait sortir quand même, devrait même appeler une amie et profiter de ce soleil si bon. Il essaie de lire dans le hamac, se relève, parle un peu aux gens qui l’entourent. Finalement il n’aura aucune nouvelle de cette personne qui encore une fois, a autre chose à faire que de passer son dimanche avec lui. Triste mais aussi peu fier de lui, il boude dans sa chambre en écoutant trop fort sa musique qui défoule!
Être déçu de ne pas faire ce qui était prévu. Ne pas savoir comment s’extirper de cette mélasse qui colle au cœur, ne pas être fier de ne pas avoir profité du bon temps et d’avoir attendu. Se dire qu’on ne se fera plus prendre… Et pourtant s’y faire prendre trop souvent!
S’élancer corps et tête perdus dans une relation en ayant l’espoir que ça nous changera de lunette face à la vie, en espérant qu’enfin ce sera facile, joyeux et lumineux. Mettre sa vie en attente que l’autre y apporte sa lumière. Ne plus voir ni le soleil, ni la lune, ni même ses enfants rire. N’être qu’attente et à fleur de peau. Tendue. Marcher sur un fil mince et vertigineux. Tomber et avoir mal, parce que l’autre ne peut changer toutes les saveurs et les couleurs du monde qui nous entoure. Se rendre compte que nous sommes les seuls porteurs de ces lunettes et que c’est à nous de les changer…
Combien de personne sont déçues de leurs relations amoureuses et amicales? Combien de fois ça nous arrive de penser que la vie va prendre un raccourci favorable en présence de l’un ou de l’autre? Comme il est dur de frapper le mur des attentes en couple. Beaucoup n’y survivent pas d’ailleurs…