dimanche 30 janvier 2011

Sirènes...

Elle :
Il faut bien manger n’est-ce pas?
Une sirène!
Une sirène?
Il est l’heureux élu, l’artiste choisi pour faire une œuvre d’art face au musée qui va attirer tous les touristes de la péninsule. Il aimerait ce matin, devant sa feuille encore blanche, son café et le soleil qui se lève dans la mer, en être heureux.
Quand il a fait les beaux arts, il avait de grandes prétentions! Il souhaitait ne faire que ce qui le l’allumait, que ce qui ferait briller ses yeux. Oui! Il est snob! Il s’en défend, le revendique même! Trop de monde se bouscule au pas de la porte de l’art populaire. Ses enseignants souriaient en levant les yeux aux ciels! Ils savaient eux, que la vie était faite de trait de génie mais aussi et surtout de travail pour payer le loyer, pour nourrir la famille ou encore pour voyager! Ils essayaient de lui enseigner que l’on peut vivre de son art, on peut être populaire en ne se reniant pas, en gardant sa signature, en s’investissant et en y mettant tout ce qui fait notre talent! Il balayait d’un soupir en pensant que pour lui, ce serait différent! Il avait la fougue de la jeunesse et surtout les illusions de ceux qui apprennent, ceux qui touchent à l’essence qui les forment, il avait la candeur de ceux qui enfin, se sentent à leur place. Il avait 20 ans!
Il en a maintenant 40. Il est assis devant sa feuille blanche, le petit matin arrive à grands coups de roses et d’orangers…  Il reste un peu de gris, celui si caractéristique de la fin de nuit. Ce gris teinté de bleu… Il adore se lever pour créer quand tout le monde dort encore. Il est encore maître des lieux. Aucun sons, cris ou rires des enfants, pas de téléphone qui sonne, de va et vient et de courses folles des matins d’école.
Il crayonne des sirènes, images de son enfance, des fantasmes masculins des années 50, il en fait des bandes dessinées… Il enrage. Il a bien besoin de cet argent que lui apporte ce contrat en or. De la reconnaissance aussi. Il souhaite enseigner les arts au collège et ce projet va lui en ouvrir les portes…  Il en a assez de vivoter au gré des bourses du conseil des arts, de petits contrats ici et là comme illustrateur. Parce que même s’il aime manier des couleurs et des pastels, lui ce qui le branche c’est la sculpture… Mais les vêtements des enfants, les vacances de l’été prochain et la voiture qu’il faut réparer et l’hypothèque et…. La liste n’en finit plus de s’allonger au fur et à mesure que la vie se vit… Et sa vie, pour rien au monde il la changerait. Il adore être l’amoureux de sa belle, ses enfants font sa joie quotidienne… et cette maison si belle, au bord de la mer… Oui il le sait, c’est un fleuve… Mais de là où il la regarde tous les matins, comme il la voit et comme il la sent. C’est la mer.  Mais pas une mer de sirènes. Il n’y pas de sirènes dans le St-Laurent. Des baleines, des oursins, des épaves… Mais pas d’histoires de sirènes… Il n’arrive pas à imaginer que les sirènes de son enfance, les sirènes que les pirates espéraient et redoutaient se trouvaient si près… Non. Les sirènes vivaient là où il fait chaud, pas là où la glace vogue sur la mer…
Il se sermonne un peu! On s’en fou de ces histoires… Les sirènes n’existent pas! Point à la ligne. Dessine une sirène, sculpte une sirène et empoche le chèque. Facile!!!
Il termine ses crayonnages, son café aussi. Le gris est définitivement parti. Bientôt il ne sera plus seul face à cette fenêtre. Il partagera la table avec les boîtes de céréales, les confitures et le rire ou les disputes des enfants. Il boira une autre tasse de café avec sa douce, sa belle… Ils s’essouffleront à vouloir que personne ne soient en retard, il la regardera partir les cheveux en bataille, encore! Il la trouvera si belle. Encore!
Il sourit à cette évocation!
Il soupire et décide de terminer là pour ce matin, il reprendra le travail quand les enfants seront à l’école, plus tard.
L’envie de réveiller doucement sa femme l’assaille. La sentir qui s’éveille tout en s’étirant près de lui, se coller à sa chaleur, à son amour, à son sourire si beau. Il est heureux de partager tous ses premiers sourires et ce depuis si longtemps déjà!
Il entre dans la chambre sur la pointe des pieds, il connait la légèreté de son sommeil à cette heure. Il souhaite se  blottir tout contre sa peau chaude, odorante sans la réveiller. Et soudain une vision! Il la voit la sirène!
Il existe bel et bien une sirène tout près du fleuve! C’est sa douce, sa belle, sa femme qui lui offre cette image saisissante.
Les draps rejetés au pied du lit, nue, sur le ventre. Elle offre à ses yeux amoureux ses fesses avec leurs courbes rebondies, ce creux de reins et cette peau soyeuse… Il ne manque qu’une nageoire à la place de ses jambes et elle existe, là tout juste près de lui. Dieu qu’il aime ce corps. Il va faire de son amoureuse la muse du musée.
Il est content de se blottir tout contre elle, car il sait maintenant qu’il travaillera fort et bien, qu’il sera fier de son œuvre, car il rendra hommage à la femme qu’il aime!
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Lui :

J’ai envie d’une coupe de vin vermeil, un désir de sommeil.
Mais celui-ci me fuit;
Il y a loin de la coupe aux lèvres.
Ce chaud liquide qui réchaufferait mon âme et ferait bouillir mes trippes.
L’ivresse du plaisir rend le désir contagieux.
Elle  repousse l’impossible auxquels nul n’est tenu, mais dont chacun est tributaire, tôt ou tard.
Enfin, me dis-je, qu’une fois l’orgasme consommé, au repos enfin, je goûterai.
Peine perdu, l’âme en peine, éperdue, j’ai goûté au plaisir, sans sombrer dans le repos du guerrier.
Ce samouraï onirique est bien irrité par toute cette activité.
Mes muses sont trop bruyantes!
Elles m’éloignent Morphée, avec qui j’aimerais bien flirter.
Je serais donc forcé de contempler mes fantasmes, de perturber ma douce moitié.
Transformant mon lit en un tourbillon de draps froissés.
Jusqu’aux premiers rayons de lumière, que mes paupières lourdes refuseront.
Ce fruit tant désiré, enfin offert. Il me fallait capituler pour gagner…
Ivre de fatigue, abandonné. Je sombre.
Eh merde!  Encore un retard au bureau…

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