dimanche 26 septembre 2010

En clair obscur

Elle :
J’aimerais avoir la foi.
Une vraie, pas une de celle qui vient lors des mauvais moments à passer.
Petite, j’allais à l’église le matin avant d’aller à l’école et j’espérais être complètement chavirée par un appel de Dieu.
Je viens d’une culture religieuse mixte. La semaine, catholique et la fin de semaine protestante. J’aimais les rites chez les catholiques. La répétition comme un mantra des prières, des codes précis où on ne peut se tromper.  Chez les protestants, j’aimais la communauté, le fait qu’il y avait beaucoup d’enfants, l’école du dimanche. Et les chants ! Chanter à l’unisson des prières, des odes à Dieu. Juste d’y penser me donne le sourire.
J’ai aimé avoir la foi. J’aimais cette idée que Dieu m’avait choisi, je me sentais privilégiée d’être de sa famille. Je priais le soir et le matin et le midi aussi. J’avais cette idée qu’il fallait que je sois dans les rangs de Dieu pour être sauvée. J’avais compris la notion chez les protestants où l’on doit accepter Dieu dans son cœur pour l’être. Chez les protestants, personne ne le choisit pour nous à la naissance. C’est un choix éclairé que l’on fait dans un cheminement d’éducation religieuse. J’aimais cette idée de pouvoir avoir le choix.
Je continuais tout de même à fréquenter les catholiques, car il y avait là tant de beautés dans les lieux de culte. Et les odeurs d’encens et la chaleur des cierges. Je me sentais coupable tout de même de regarder toutes ses statues (interdites chez les protestants) et de voir tous ces gens à genoux devant des saints (qui n’existent pas non plus chez les protestants…). La culpabilité ne m’empêchait tout de même pas de magasiner dans l’une et l’autre de ces branches chrétiennes. Je prenais ce qui me plaisait chez l’une et ce qui me plaisait chez l’autre et m’inventait une croyance bien à moi, à l’image de mon identité un peu décousue, de fille déracinée. Je m’inventais une religion aux branches multiples.  
J’ai aimé avoir la foi, mais je l’ai perdu. Je suppose que ça s’est fait graduellement, au fil des lectures, de mes réflexions aussi. Je l’ai perdu comme on perd ses clés. Je l’ai cherché un peu au début et ensuite, voyant que je ne la retrouvais pas, eh bien j’ai abandonné la recherche. J’ai perdu la foi dans un acte de révolte. Dans un moment où la plupart des gens se tournent vers Dieu et demandent des comptes, le pourquoi du comment. Moi j’ai senti au plus profond de moi que si Dieu existait, il ne permettrait pas que des gens se tuent aussi jeunes, par désespoir.
J’ai perdu la foi, dans un geste d’éclat, lors d’un chant (moi qui aime tant les chants…) d’anniversaire, chanté à mon amie I., morte par pendaison, morte par choix. Un chant d’anniversaire, car ses funérailles se sont déroulées la semaine de ses 18 ans. Entendre et voir tous ces gens dans une seule voix lui souhaiter bonne fête (!!!!), m’a scié les jambes, a enlevé l’idée de Dieu dans mon âme, dans mon cœur. J’ai été révolté de voir ce guide spirituel nous faire chanter un chant si vivant, pour mon amie qui était si morte.
Je me suis levée, j’ai marché vers les deux immenses portes, par l’allée centrale, j’ai regardé bien devant moi et je suis sortie. Les portes ont claquées. Dans mon souvenir c’est comme si le bruit était assourdissant. Mais je suppose que c’est mon cœur qui battait de façon assourdissante, mon cœur qui faisait tout ce bruit à l’intérieur de moi. J’ai quitté Dieu en claquant la porte. Je me suis assise sur les escaliers du perron de l’église, tout près de mon prof préféré, mon mentor, mon guide de vie de l’époque. Il m’a regardé, m’a dit simplement quelque chose du genre : « C’est assez hein ? »… « Oui, c’est assez… » Et on est partis.
J’ai quitté Dieu en claquant la porte et depuis j’aimerais avoir la foi.
Je garde de cette époque, la fascination des rituels, l’amour des cierges allumés et des odeurs d’encens. J’ai cette curiosité de la foi des autres et je suis intéressée toujours, d’en savoir plus. Je photographie les églises, comme d’autre le font de leurs amis. Car je crois que ces lieux sont pour moi encore aujourd’hui, des lieux de paix, de calme et de réflexion.
Un jour j’ai claqué les portes sur ma foi, mais pas sur la beauté que la foi a engendrée dans le monde.
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Lui :
Les nuages peuvent être violents, dramatiques, mais aussi légers, voir vaporeux.
Parfois, ils enveloppent l’environnement et transforment notre monde, le rendent propice à l’apparition des chimères.
Marcher en altitude devient une aventure, favorise l’introspection.
Ces volutes blanches qui caressent les cimes, comme des amants qui se retrouvent enfin et s’étreignent avec le troublant désir de ne plus jamais se séparer.
Cette magie puissante qui fouette l’imagination. Ce plaisir qu’on a, en avion, d’enfin voir les nuages de proche, et cette envie de pouvoir les toucher, comme s’ils étaient palpables et doux.
Évidemment, il était prévisible que le clergé récupère cette impression pour décrire le paradis, perché dans le ciel, hors d’atteinte si ce n’est que dans la félicité et la mort.
On ne revient pas du paradis.
Comme on ne revient pas de l’amour.
À moins que le paradis devienne un enfer.
Lesquels n’existent pas l’un sans l’autre.
Cet équilibre troublant, démontrant que la vie n’existe pas sans la mort, que la lumière n’existe pas sans obscurité.
Cette croix, un peu orgueilleuse, qui ne daigne pas toucher le ciel, qui se garde chaste de ne pas l’effleurer, peut-être dans la crainte d’y succomber.
Cette image plus spirituelle que charnelle, qui me désole dans sa retenue. Je la trouve contre nature. Elle me trouble, car je la trouve belle aussi.
C’est un clair obscur.
C’est la piété inondée de lumière, sur fond de néant. Au-delà, point de salut.
Pourtant…
Les hommes qui ont érigés ces monuments étaient souvent bien pauvres. Le pouvoir religieux ayant commandés pareilles réalisations se couvrait d’or à même leurs poches et leur sueur.
L’église commande l’humilité.
Le peuple est le réel pouvoir, mais se laisse gouverner par le roi.
Il n’y a pas de logique sans absurdité…

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