mardi 30 octobre 2012

La souffrance

Elle:

C’est venu tout à coup. 
Par vagues. 
Et puis la tempête s’est déchaînée, les vagues se sont transformées en raz de marée et la douleur a été fulgurante, intense. J’ai pleuré. 
Crié aussi. 
J’ai tendu la main, demandé grâce. 
On m’a dit de respirer, d’être patiente, de me fondre dans cette douleur… 
Au moment où je n’en pouvais plus. Je t’ai vu. Toute belle, toute fripée par les efforts que tu avais eu à faire toi aussi, pour connaître le froid de l’air sur ta peau, pour respirer seule.
Accoucher a été pour moi, une étape importante. L’acte d’accoucher, l’état d’avoir mal de cette façon et si longtemps!
Je suis très sensible à la douleur et je n’arrivais pas à croire que je passerais au travers cette épreuve non négociable d’avoir un enfant. J’avais une peur bleue de ne pas être assez solide pour supporter ce qui me semblait être la chose insupportable au monde!
Aujourd’hui, 20 ans après, je fais mentir tous les gens qui m’avaient promis que je ne me souviendrais plus du mal que ça fait!
Je m’en souviens très bien!
Mais ce souvenir laisse en moi quelque chose de plus grand et de plus envahissant que la peur.
J’ai réussi!
J’ai surmonté mes craintes et j’ai été capable de mettre au monde un enfant. La tempête a été intense et a duré plus de 30 heures, dont 28 sans même une minute entre chaque contraction. Mais j’étais là!
Lucide, solide.
Et seule face à ce bouleversement.
Car même accompagné, on est seul face à nos peurs, aux douleurs aussi.
La force intérieure que j’ai puisée de ce grand moment dans ma vie est encore présente aujourd’hui. J’ai accouché ce 10 décembre de la force autant que de ma fille. J’ai accouché de la puissance faite femme, faite moi! Je ne me connaissais pas cette force intérieure, je n’avais jamais eu à surmonter aussi grande souffrance physique. J’en puise encore aujourd’hui une grande fierté!
Son corps est devenu tout mou, ses yeux vitreux… Le teint cireux… Si petit. Il ne boit plus de lait. Vite. À l’hôpital! Ils l’ont gardé une bonne semaine. On ne sait pas ce qu’il a eu. Des virus il y en a tellement!
Il s’est fait réveiller toutes les heures et j’ai caressé ses petits cheveux tout doux, d’enfants de trois semaines…
La douleur que j’avais de le perdre. La douleur que j’avais de ne pouvoir m’occuper de sa sœur à la maison. La douleur infernale du manque de sommeil et de la peur de me faire dire que c’était grave…
La douleur pire que la douleur physique est celle de craindre pour la vie d’un être cher (j’allais écrire chair pour bien illustrer mon propos…)
Ne pas savoir, s’en faire accroire aussi, car tous les possibles et les impossibles sont là devant.
La fatigue n’aidant pas. Le lait dans les seins qui se gonflent d’orgueil, le choc hormonal après l’accouchement. Les pleurs inconsolables de notre enfant dans nos bras… Cette douleur que l’on ressent physiquement est incroyablement dévastatrice, drainante. C’est une douleur invisible, qui ne se voit pas à l’œil nu, mais qui vit dans chaque molécule de notre corps quand la peur nous envahit.
Le soulagement de la santé qui revient, de la couleur sur les joues qui réapparaît… Le soupir de soulagement quand de retour à la maison, j’ai pu dans mon cocon, me coller sur mes deux enfants en vie.
On voudrait tous passer outre les souffrances. On voudrait avoir une passe spéciale avec la vie, un pacte avec le diable pour s’en sortir.
Mais elle est ainsi faite la vie. Elle apporte avec le temps son lot de tracas et son lot de souffrance. L’amour, l’amitié, la famille ne peuvent nous en épargner. Mais si on regarde bien. Si on est honnête, sans elle, souvent on ne mesure pas la chance que l’on a quand elle ne se pointe pas. La souffrance, les douleurs qui l’accompagnent forgent aussi la personne que l’on est. 
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Lui:


Pour certains, elle lave les péchés du monde.
Pour d’autres, elle fait office de justice.
Elle peut être le résultat d’un évènement auquel on ne trouve pas d’explications.
Elle devient inexplicable, sans raison.
Comme la perte d’un être cher qui laisse tant de questions sans réponses, perdu dans l’obscurité entre tant de possibles qui se chevauchent dans le chaos.
Mais sans la souffrance, comment pourrions-nous quantifier le plaisir?
Il serait acquis, normal, banal.
Quel serait le moteur qui nous pousserait à commettre des gestes insensés pour l’être aimé?
Quelle serait la frontière qui nous indique que la mort rôde et nous attend si nous continuons dans cette direction.
Elle est universelle, faisant fi de la richesse ou du sexe, mais elle se régale particulièrement des êtres dont le cœur immense les empêche d’être distants.
La souffrance nous apprend la compassion, elle tisse les liens du sang et bâtit des amitiés à l’épreuve du temps.
C’est l’épreuve nécessaire, le passage rituel, la marque qui nous rend notre humanité.
Elle fait de nous un adulte, parfois avant le temps.
On peut vouloir s’en protéger en dominant son corps au-delà de ses limites physiques, mais elle a encore le pouvoir de s’insinuer dans le cœur des plus forts pour les mettre à genoux et les écraser dans un tourbillon de larmes.
Elle nous apprend l’humilité.
La compassion.
L’amour.
C’est la nuit qui ouvre la porte au soleil.

Ce sont des mots que je puise loin.
Ils sont peut-être trop lointains pour ma fille cadette.
Dis-toi que lorsque ta main est enfouie dans la mienne, plus rien ne peut l’atteindre.
J’ai accumulé toute ma souffrance pour en faire un bouclier et te protéger.
Parfois, quand je suis avec vous, j’ai presque l’impression que mon cœur de père pourrait arrêter la charge d’un train.
Ma blonde à raison.
Vous me rendez invincible.
Jamais je n’hésiterais à me sacrifier si j’avais à le faire.
Vous m’avez montré un côté lumineux de la vie que je ne connaissais pas. Je vous en serai toujours reconnaissant.
Vous avez nourri quelque chose qui a grandi, puis a fini par prendre tant de place. Une grosse boule de chaleur et d’amour qui m’a transformé.
Vous m’avez montré, avant même de le connaître, ce qu’est le véritable amour.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Touché en plein coeur! Gin