mardi 18 septembre 2012

À propos du travail...


Elle:

L’heure bleue de l’angoisse approche à grands coups d’aiguilles de seconde sur le cadran. Elle devra enfiler son linge mou et faire le café. 
Le boire à trop petites gorgées pour étirer le temps du départ. 
Nourrir les chats, vérifier si les plantes n’agonisent pas de sécheresse, lire les courriels, qui ne sont que des publicités qui vantent les mérites d’achats groupés de repas 5 étoiles. Sous la douche, laisser couler la chaleur dans la nuque, se convaincre que c’est un concept de privilégiés; l’amour de son travail. 
Un concept qui lui a échappé quelque part entre son secondaire et l’université. Entre les couches à laver et les biberons à donner. Entre deux sourires d’enfants et des pets odorants. Elle sait qu’elle a sacrifié son talent et ses aspirations à ses enfants. 
Sacrifier est un grand mot, un verbe grandiloquent. 
Elle ne pense pas que ses enfants lui doivent quoi que ce soit et si c’était à refaire, elle referait tout pareil. Elle se lèverait tous les matins pour travailler du mieux qu’elle le peut, de tout son cœur pour beurrer les tartines avec de bonnes choses, pour habiller les pieds de bas doux et pour se payer des vacances hors du balcon qui donne sur la cour du voisin un peu trop fou de sa tondeuse.
Mais elle n’y peut rien. 
Tous les matins elle se demande à quoi elle ressemblerait si elle allait au travail en chantant, heureuse des tâches qui l’attendent. Elle s’imagine bien plus belle, bien plus mince aussi. Charmante et souriante à foison! Elle est certaine au fond d’elle-même qu’être stimulée mentalement, stimulée dans son âme rend les gens beaux.
Ce qui la retient dans son travail routinier rempli de choses à faire et refaire pareillement à la veille ou à l’année qui vient de terminer? 
Presque rien au fond. 
Quelque cinq dollars de l’heure de plus que si elle allait là où c’est stimulant. Presque rien, mais concrètement c’est tout un monde. Cette différence est un pont entre avoir le loisir de choisir des asperges plutôt que des conserves, c’est aussi pouvoir s’offrir cette sortie cinéma entre filles, qu’elle aime tant. C’est savoir que le toit est assuré au-dessus de leurs têtes. C’est aussi parfois, cette escapade en amoureux, folie suprême, loin de la ville, perdue dans le vert et le vaste.
Une fois assise à son bureau,  après avoir salué les collègues qu'elle aime bien, elle arrive à croire qu’au fond, on n’est pas le travail que l’on fait, mais toutes les passions qui nous animent. Ce n’est qu’à cette heure où tout devient bleu, à cette heure du petit matin, où tout ce qui nous entoure s’enveloppe de mystère et de joliesse, que des pensées de fugues la prennent au corps, lui bouleversent l’âme. 


Et si… 
Oui. Et si…

Alors elle monte en mou, faire du café…
Et rêve que ses enfants seront des privilégiés.

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Lui:
Accomplir quelque chose, s’accomplir soi-même.
Être fier, être puissant: rendre les choses possibles.
Réparer les amitiés brisées, mais aussi s’aimer assez pour briser le lien des amitiés toxiques.
Travailler pour vivre et non pas, vivre pour travailler.
Justement. Je me demande...
En disant que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, Lavoisier faisait-il aussi allusion au fait que le travail transforme la sueur et la santé en denrées, en eau, en un toit périssable?
Le travail… Qui transforme parfois la jeunesse en fatigue, l’enthousiasme en regrets amers.
Il est de ces contrats que le diable garde bien cachés sous sa redingote. Si on ne prend pas le temps de bien lire les petits caractères, l’illusion d’une bonne affaire devient vite un calvaire.
Il peut aussi transcender l’amour et la beauté.
L’amour du geste bien fait, du coup de pinceau ou de l’effleurement sur la toile tel un souffle chaud sur  le galbe d’un sein. 
Le coup de ciseau, ou la caresse exquise qui polira le marbre rugueux jusqu’à le rendre tendre comme le regard d’une muse en amour.
Cultiver la patience, mais fuir la complaisance.
Rome ne s’est pas bâti en un jour.
Ni être papa de deux filles merveilleuses...
Pour qui le plus grand salaire sera un jour de déguster un bol de café au lait avec ses filles et qui sait? 
Peut-être même ses petits enfants...


Cheminer, grandir, se construire et se reconstruire...


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