samedi 18 février 2012

À tire d'ailes

Lui :

Ma grand-mère me disait toujours…

-Il faut nourrir les petits moineaux du Bon Dieu!
-Mais pourquoi, grand-maman?
-Parce qu’ils vivent de rien, d’un peu d’eau, de pain et de simplicité.
-Ah…
Je continuais à les observer, sautillants, affairés à picosser la mie de pain sur le trottoir.
Rêvant de m’envoler dans le ciel à mon tour, avec si peu de besoins.
Plus tard, avec le temps, l’image des petits moineaux de ma défunte grand-mère est venue me visiter, au gré des responsabilités qui s’accumulent. L’hypothèque, les enfants, le couple. Puis vint la famille reconstituée, le travail, les embouteillages. Le prix des denrées qui ne cesse  d’augmenter alors que les salaires piétinent.
Pourtant, à bien y penser, le moineau d’Amérique est un des oiseaux les plus agressifs de sa catégorie.  Sans pitié, il attaque les autres oiseaux sans relâches, les pourchasses. Il prend toute la place et revendique l’espace. Il ne supporte pas la compétition.
Il doit manger sans cesse, chassant, fouillant, pour survivre et assurer sa reproduction.
Il a un but; survivre.
Il doit faire face à une foule de prédateurs.
Du coup, la simplicité et la félicité des « petits moineaux du Bon Dieu » m’apparaissent moins euphoriques.
Ma grand-mère me racontait que toute petite au manoir, cadette d’une famille de onze, elle adorait nourrir les pigeons près du grand ruisseau. Mais qu’à l’occasion, sa mère lui demandait d’en tuer quelques un pour faire un pâté.
Bien en peine, elle les appelait et ceux-ci, tout guilleret de la voir, accouraient pour se faire casser le cou.
L’apparence dans tout ça est qu’on ne peut se fier à quoi que ce soit. Si c’est trop facile, trop beau pour être vrai; c’est probablement le cas.
Comme lorsqu’elle fut victime d’une crise cardiaque. Une fois rendue à l’hôpital, son état stabilisé, le docteur nous avais dit qu’il devait la garder sous observation au cas où.
Simple procédure.
La frousse s’est estompée. On s’est remis à respirer.
On a préparé l’autre joue pour le destin.
Et il a frappé.
Le téléphone a sonné chez moi. Le lendemain soir. Mon parrain voulait parler à ma mère. Elle arrivait tout juste, encore vêtue de son long manteau et de ses bottes hautes. Elle pleurait déjà, sans savoir pourquoi.
Lorsque je lui ai passé le téléphone, elle s’est effondrée.
Grand-maman était partie.
Je crois qu’elle ne s’en est jamais vraiment relevée.
Elle est morte d’une seconde crise cardiaque, à l’hôpital. Alors qu’elle était sous observation.
Je commence à comprendre pourquoi je fais des cauchemars où je suis poursuivi, traqué.
Je commence surtout à comprendre qu’il n’y a rien à comprendre.
Il y a de quoi devenir craintif et suspicieux.
Superstitieux?
Grand-maman  connaissait toutes les superstitions imaginables et les mettait en pratique.
Encore aujourd’hui, je l’entends me dire :
-Araignée du matin, chagrin. Araignée du midi, souci. Araignée du soir, espoir… Laisse-la donc vivre timone!
Je ne pouvais prononcer adéquatement l’appellation « petit monstre ». Forcément, celle-ci m’a collé à la peau.
Ma grand-mère me disait toujours bien des choses…
Je crois que lorsqu’on est blessé par la vie, cicatrisé, effarouché par le souvenir de n’avoir rien vue venir… Je crois que le besoin impératif de trouver une façon de survivre fait son chemin et nous tend la main pour nous garder la tête hors de l’eau.
C’est peut-être ça, finalement, qui est merveilleux avec les oiseaux.
Ils ne réfléchissent pas…
Ils sont à l’abri des tourments de l’esprit.
Cependant, nous ne sommes pas des oiseaux.
Il nous reste les allégories. Les images. La bonté.
Grand-maman me parlait souvent de la Sainte Vierge.
Elle y croyait tellement. Elle savait le lot de la mère qui s’efface derrière ses enfants et son mari. Elle savait l’extraordinaire courage de Marie qui a dû endurer la vision de son propre fils sur la croix.
Mais elle ne me parlait pas de ça… Elle me disait plutôt qu’un jour, elle aurait sa maison, avec des oiseaux, qu’elle prenait la peine de me dessiner, avec au-dessus du toit, un soleil radieux. Dans mon souvenir, j’entends encore les crooners qui chantent à la radio. S’ils avaient pu savoir le plaisir qu’ils pouvaient lui procurer.

J’aimais bien lorsqu’elle se choquait avec le sourire en disant « scram!!! »
C’est bon, d’avoir la visite de sa grand-mère de temps en temps, à travers ce millier de choses qu’elle pouvait bien dire.

Allez, je « scram » grand-maman.
On se revoit plus tard.
Tu m’en as tellement dit…
Ça fait quoi…  Presque 30 ans maintenant.
Tu me manques encore.
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Elle :
Tout doucement, ils viennent manger dans sa main. Ils sont volages, légers, mignons et peureux. C’est à tire d’ailes qu’ils viennent et repartent presque à la vitesse de la lumière! Ils sont légers et ça la fait rire! Combien de temps peut-elle rester là, à offrir pitances et amour à ces êtres ailés? Beaucoup! Ça fait rire ses enfants et son amoureux en est attendri. Il voit dans ce rituel de sa femme, toute la tendresse et la douceur qu’elle ne laisse passer que trop peu souvent. Quand il la voit comme ça, souriante, détendue et offerte au plaisir, une bouffée chaude d’amour l’envahit.
….
Quand elle marche dans le parc pour aller nourrir les mésanges, elle ne peut s’empêcher de penser à lui. Son père qui du haut de son presque rien, qui parlait fort et se vantait d’être tant respecté que les gens « viennent manger dans ma main ». Elle frissonne au souvenir de cette voix tonitruante! Car pour être craint il l’était.
Par tous!
Par sa mère, ses sœurs et elle-même. Toutes les fois où elle jouait à devenir petite comme une souris. Disparaître et ne pas faire de bruit. Être oublié par son père devenait plus qu’un jeu, mais un but à atteindre. Une façon de vivre doucement, sans faire de bruit, sans rien demander, ni espérer. Elle regardait ses sœurs et sa mère être aux petits soins, être aux aguets pour satisfaire toutes ces demandes, caprices et en était malade.
Elle doit se l’avouer aujourd’hui, c’est sa rigidité à lui qui l’a mené là où elle est. Sa force intérieure est calquée sur la sienne. Mais au lieu d’en abuser sur les gens qu’elle aime, elle poursuit son « œuvre » à lui. C’est à elle qu’elle s’attaque si durement. Elle n’est jamais assez bien, jamais adéquate, elle est insatisfaite d’elle-même. Quand elle se regarde dans le miroir, ce sont ces yeux à lui qui la jugent. Elle commence à peine à s’en rendre compte. Et ça la peine d’être devenue ce qu’elle a toujours combattu. Elle a tant et tant jugé ses sœurs et sa mère pour leurs abnégations, leurs soumissions à ce petit napoléon de petit salon! Et elle se devait d’admettre que bien qu’elle n’ait jamais plié devant lui, jamais baissé les yeux… Elle a intégré son discours jusqu’à la moelle et était devenue son propre bourreau.
Quel exemple fait-elle pour ses propres enfants?
Elle s’en veut un peu pour son manque de douceurs, pour ses peurs de décevoir, sa recherche d’être plus que parfaite toujours et tout le temps.
Elle regrette les instants d’amour volés par son manque d’abandon dans les bras de son amoureux.
Elle continue à marcher, en faisant craquer la neige sous ses pas… Elle tente de respirer profondément, une larme coule… Peut-être deux. Il lui reste maintenant à apprendre à vivre avec ce qu’elle souhaite devenir et apprendre à aimer cette dualité qui existe en elle. S’aimer ce n’est pas l’aimer lui. Elle veut apprendre l’amour et la douceur de soi, pour aimer mieux les gens qu’elle aime.
Tout doucement, ils viennent manger dans sa main. Ils sont volages, légers, mignons et peureux. C’est à tire d’ailes qu’ils viennent et repartent presque à la vitesse de la lumière! Ils sont légers et ça la fait rire! Elle respire et se sent bien!

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