Elle:
Le souffle court, l’herbe
humide qui lui pique la nuque.
Elle attend, sa main dans la sienne, que ça
commence!
C’est un soir spécial. Un soir où la musique joue fort tard, un soir
où tous sont dans le parc, même s’il fait noir. Un soir de fleurs de lysée… Un
soir de fête.
Le quartier n’est pas huppé, alors ça hurle plus que ça ne
chante, ça crie des mots interdits pour manifester sa joie. Mais c’est la fête!
Partout du popcorn, des hot-dog, de la barbe à papa rose. Et elle est avec
elle!
Elle la voit si peu et c’est elle la choisie pour fêter la St-Jean en sa
compagnie!
Elle lui a dit plus tôt au
téléphone :
« J’m’en viens te chercher, on va aller aux feux
d’artifices! »
La petite aux grands yeux, a couru jusqu’à la chambre pour
aller voir comment belle elle pourrait s’habiller pour sortir avec le grand
amour de sa vie!
Ses cheveux trop courts
remplis de rosettes qui font trop de couettes, elle ne peut les rendre plus
beaux, elle se fait donc une raison et passe aux choses sérieuses.
Jupe ou
short? Une jupe. Elle en a une toute rose à volants qui semble flotter dans les
airs quand elle tourne et tourne encore sur elle-même! Avec une petite camisole
et un petit foulard dans le cou, pour faire joli…
Oui! Elle sera en rose pour
accueillir son adorée.
Et puis elle est arrivée!
« Maman!!! »
Elle lui
saute au cou, l’embrasse partout, rit trop fort, prend trop de place, elle le
sent. Mais son bonheur est immense, il éclate trop fort, c’est puissant!
Sa
mère ne sait plus quoi faire pour la faire se calmer et lui présenter son ami.
« oh non… »
Se
dit-elle boudeuse. Je vais devoir la partager. Encore!
La fête semble déjà
moins tentante, moins alléchante. La boule dans la gorge se reforme, les bisous
se taisent. Sa mère est bien moins belle quand un homme est à ses côté.
Quand
elle rit c’est pour le séduire lui. Quand elle donne la main, ce n’est pas pour
prendre la sienne. Elle a dans la voix quelque chose de grave et c’est comme si
elle ne la reconnaissait plus.
Pas qu’elle la connait beaucoup sa mère. Elle la
voit si peu. Elle ne sait plus pourquoi, mais elle vit ailleurs, chez des gens.
Elle ne sait pas encore que des enfants comme elle portent un nom. Elle sait
juste que sa mère quand elle la voit, elle la voudrait pour elle seule.
Elle se sent méchante mais
c’est plus fort qu’elle. Mais comme toutes les fois avant, elle sera plus
gentille encore, plus avenante, plus intelligente, enjouée et rieuse.
Elle la
charmera de ses bonnes notes et de son bon maintien, de toutes les choses
qu’elle connait maintenant. Elle tente de chasser la boule dans la gorge avec
de la liqueur et des hot-dog…
Elle mange probablement trop de pop-corn, mais
c’est la fête! Elle hurle avec les autres, danse et danse encore pour faire
voler sa petite jupe rose.
« Regarde-moi maman! Regarde-moi! »…
Sa mère rigole, trop fort pour
le goût de la petite. Mais elle vient la prendre par la main.
« Viens ma
chérie, on connait un endroit magique, où les feux vont venir nous
embrasser… »
Ils ont marché dans le noir
près de la rivière, se sont éloignés de la fête. Bientôt le monsieur a trouvé
un coin tranquille et tous se sont installés couchés sur l’herbe.
La petite a
bien essayé de venir s’installer entre eux, pour les séparer, mais elle a
sentie que sa mère en était agacée. Pour lui plaire, elle est allée de l’autre
côté… a boudé un peu. Pas longtemps. Incapable de bouder son plaisir de la
sentir si proche d’elle et puis dans un grand fracas, dans un bruit
assourdissant, le ciel s’est éclairé d’un grand cercle doré!
La petite a fait le saut et
s’est mise à pleurer. C’était trop beau. Si gros dans le ciel. Et tellement
intense qu’elle a mis sa main dans celle de sa mère et elle a profité des
couleurs si brillantes, des nuances et à la fin elle riait même des pétarades.
Pendant le temps qu’à durée le feu d’artifices, la magie a opérée. La boule
dans la gorge a disparue.
Elle s’est abandonnée au plaisir millénaire ne
sachant pas qu’au départ c’étaient en fait pour la guerre, que tant de beautés
avaient été créées.
La petite est grande
maintenant.
Elle ne porte plus de jupe rose à volants qui flottent,
probablement parce qu’elle ne tourne plus sur elle-même.
Elle n’est plus
jalouse des hommes dans la vie de sa mère.
Elle sait maintenant comment
s’appelaient les enfants qui, comme elle, vivaient ailleurs qu’avec leur mère.
Elle sait comment s’appelle la boule qui grossi dans la gorge. Elle sait aussi
pourquoi sa mère avait la voix si basse en présence d’un homme. Elle sait aussi
que plus d’intelligence, de savoir-vivre et de bonnes notes n’auraient changé
le cours des choses.
Elle est consciente aussi, que c’est grâce à sa mère, qu’il
y a au fond d’elle, un cœur d’enfant qui espère encore éclater de joie à la vue
d’un feu d’artifices.
Frappée en plein cœur par ces éclats de lumières, elle
suit depuis cet instant, tous les feux qui éclatent dans sa région et ailleurs.
Et depuis qu’elle est avec lui,
les feux sont encore plus beaux, plus intenses.
Car c’est maintenant sans boule
dans la gorge et avec sa main dans la sienne à lui, qu’elle observe les feux.
C’est sa voix à elle qui devient plus basse pour lui dire dans l’oreille
combien elle l’aime. Et il la regarde sans qu’elle lui demande, et c’est lui
qui la couvre de baisers sur l’herbe humide de l’été.
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Lui:
Je me souviens…
L’odeur d’urine et de couches souillées, les cris, les
couleurs vives.
Les pleurs qui montent, les crises, les fous rires. Le refus presque
systématique, furieux, de s’étendre dans la salle de repos, alors que mon corps
hurle son besoin de dormir. Ne plus vouloir me lever alors que cette femme
phare vient m’illuminer de bienveillance.
Puis une fois, un petit ange frisé avec ses petites mains délicates
était descendu sur terre pour prendre les miennes et m’emmener jouer avec elle.
Nous avons pris le thé sans eau et des biscuits dans des assiettes vides. Elle
a même eu le génie de terminer avec une bataille de toutous qui s’est terminée
en punition dans la salle de repos.
Je me rappelle sa respiration, son rire tout en retenue suivie d’une descente délicieuse
vers le sommeil.
Magalie, le son du bonheur…
Cupidon m’avait touché avec la précision d’un tireur d’élite.
Un jour, elle est disparue.
Ses parents et elle ont déménagé, je crois.
Mon cœur s’est brisé, sans toutefois cesser de fonctionner,
dans un faible murmure tenant à la vie dans l’espoir d’un jour la revoir.
Le passage à l’école primaire me fit du bien. Enfin la chance
de m’éloigner de son souvenir, de ces toutous qu’elle avait tenus, de ces
matelas qui l’avaient accueilli. Tout me criait qu’elle avait été beaucoup,
dans ce tout qui était encore si peu.
L’école primaire, c’est un voyage dans la ouate, sans odeurs,
l’éternité figée pour sauvegarder mon âme. Je l’ai traversé sans m’en rappeler
pour arriver sain et sauf à l’école secondaire.
J’ai même fini par me faire une blonde.
La vie redevenait ce sentier fleuri aux airs de pop rock, le sourire
réintégrait mon visage.
Le temps s’est écoulé paisiblement, entre deux crises existentielles aussi
graves que d’avoir de l’acné ou avoir à choisir si on mange du pain blanc ou du
pain entier pour déjeuner, tsé…
Le collège… Le CÉGEP. Maintenant, enfin, j’étais reçu chez
les grands.
J’avais le droit de boire de la bière, de conduire une automobile, de diriger
ma barque.
Je savais tout! Mais je ne savais pas encore que tout ce que j’avais vraiment à
savoir, c’est que je ne savais rien.
Je faisais mes débuts dans cette grande roue qu’est l’apprentissage.
Si j’avais connu ce proverbe chinois qui dit que l’expérience est une lanterne
qui éclaire le dos, je ne l’aurais probablement pas compris. Quelle idée
saugrenue, que de s’éclairer le dos???
Les cahiers au bras, déambulant d’un pas incertain comme un
ado dans un corps d’adulte, un corps trop grand, je me dirigeai vers la classe
de philo.
L’univers à cette façon de s’arrêter, parfois. La lumière
des néons s’est mise à fluctuer. Les conversations sont devenues des
bourdonnements et mon cœur à perdu son
tempo.
Elle était là, assise au dernier rang. Elle ne m’a pas
reconnu, mais ses mèches blondes et ses mains délicates ont ouvert ma carcasse
sans défense pour se frayer un chemin violemment jusqu’à mon cœur.
Elles
connaissaient le chemin.
Décontenancé, je me suis affalé sur la première chaise pour
m’absenter du cours malgré ma présence.
Le cours terminé, je suis resté là, alors que la classe se
vidait avec l’air que j’avais peine à respirer.
Puis elle est passée.
La brise qui accompagnait
son déhanchement timide sentait le soleil nourrissant la verdure. Elle
s’est arrêtée pour me fixer, un peu nerveuse.
« Est-ce que ça va? »
La bouche sèche, je réussis à trouver le courage pour dire
« Magalie? »
Sa bouche en forme de coeur se fendit d’un sourire.
« On se connait? »
Nous sommes allés prendre un café, rattraper le temps.
Elle avait un ami, j’avais une blonde.
Elle était intriguée.
Il y avait quelque chose entre nous,
c’était certain. Une chimie. Elle le voyait bien.
À cet âge, on ne sait pas que le temps file si vite.
On ne pense pas qu’il faut saisir le moment.
La vie continue.
Je suis devenu papa avant la fin du CÉGEP, elle est partie
faire carrière à Toronto avec son chum. Mon individualisme s’est effacé pour
mes enfants et mon chemin s’est déroulé, parsemé d’épisodes d’un mal-être
mystérieux combattu efficacement par une panacée d’antidépresseurs au besoin.
Mes enfants sont grands, je suis divorcé.
Ma vie se résume à quoi…
Je ne sais pas.
Ça, je le sais!
Quel gâchis. Je suis fière de mes enfants, mais... Et moi? Quel modèle puis-je
leur offrir?
Faites des enfants, puis cessez de vivre lorsqu’ils seront partis?
Un son provient du bureau. Du courriel dans ma boite de
messagerie.
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Magalie du
printemps.
…
Y a t’il un grand architecte là-haut, qui soit assez tordu
pour jouer avec mes souffrances au point de s’amuser à essayer de me rendre fou?
C’est bien elle.
À la croisée des chemins.
Elle sera à Montréal ce soir.
Elle veut voir le feu d’artifice avec moi. Elle doit absolument me parler.
Encore une fois, je ne sais pas.
Je n’en peux plus.
J’ai besoin de geler la douleur, de couvrir les plaies qui
ne se referment plus.
Mais je ne peux m’empêcher d’accepter.
Toutes les fibres de mon être ont été programmées pour que
je puisse la voir. Respirer encore, une dernière fois, un peu de bonheur.
Je suis fébrile. L’air est glacial.
Le vieux port est envahi par la foule.
Peut-être n’arriverons-nous même pas à nous retrouver.
Quelqu’un tire ma manche, je me retourne… C’est elle.
Les yeux pétillants, sautillante, nerveuse et souriante.
Il y a quelque chose de différent.
Elle
s’approche de moi, pour une bise, mais ses lèvres se collent sur les miennes.
Son corps est plaqué contre le mien. Sa langue s’aventure
vers un baiser charnel et implacable. Elle se soude à lui. Une réclamation d’amour qui ne souffrira pas
d’être refusée.
Le ciel devient rouge et blanc…
Le chirurgien referme la chemise contenant le dossier du
patient en soupirant.
Cas classique d’ACV foudroyant.
Les dégâts sont irréversibles… Je ne pense pas qu’on puisse faire quoi que ce
soit pour lui.
Un homme dans un lit d’hôpital, immobile, ses yeux fixant le
plafond.
La lumière s’éteint.
Ses yeux restent ouverts dans la pénombre.
Pour lui, tout n’est que lumières.